Saint Dominique, notre Père

par | 9 août 2016

Saint Dominique, notre Père
8 août 2016, Bordeaux
Nous invoquons saint Dominique comme « notre Père ». De quelle signification chargeons-nous cette paternité ?
Bien sûr, toute paternité tire son nom, au ciel et sur terre, de celle de Dieu (Éphésiens 3, 15). En outre, les généalogies de l’Ancien Testament ont appris aux chrétiens à tracer l’arbre généalogique d’une famille spirituelle, à partir de l’ancêtre. Les descendants sont assis sur les branches. Tout commence avec le père, ce qui ne veut pas dire que tout y soit contenu. Les enfants portent plus loin et parfois ailleurs les impulsions initiales. C’est la vie même d’une arborescence. Aucun d’entre vous ne vit sur les intuitions de son arrière-grand-père ! Du moins, je l’espère.
Concernant saint Dominique, comment caractériser sa paternité, lui qui s’est voulu l’égal de ses frères, à la limite le premier de ses pairs (primus inter pares), et non plus un « père abbé » ? On peut trop lui attribuer, l’écraser rétrospectivement des vertus de la famille, par naïveté, ce qui n’est pas sans danger. C’est ainsi qu’on a fait de lui, à tort, le fondateur de l’Inquisition. On peut au contraire le laisser dans l’ombre, comme ce fut en partie le cas (sous réserve de vérification) au profit du père Lacordaire, à une certaine époque. La vérité est entre les deux, entre le piédestal paternel qui étouffe ses enfants et la mort décrétée du père.
Retenons trois traits de la paternité de Dominique, parmi les plus incontestables.
Le premier est sa volonté de fonder l’Ordre des prêcheurs. Ne parlons pas de la trop romantique intuition de tout ce que son Ordre serait. Il a vu une étoile se poser sur Prouille, mais ensuite il a tâtonné. Les idées les plus novatrices et les plus puissantes tâtonnent. Seuls les rêveurs incompétents partent de la clarté d’une idée, qu’ils plaquent sur le réel. Ce sont des dangers publics.
Mais Dominique a voulu fonder, et il savait que sa fondation était neuve, autant qu’utile pour l’Église, neuve parce qu’utile.
Le deuxième trait est le sens qui était le sien de la législation. Dominique a inscrit la vocation de son Ordre dans un texte, à la fois pérenne et adaptable. Tout ne repose pas sur sa personne mais sur un projet objectif. De là viennent, dans notre famille, le sens de l’institution et non de l’improvisation ; et aussi la liberté que l’institution garantit, contre l’arbitraire des individus. La règle garantit la liberté, au lieu qu’une paternité trop personnalisée favorise la tyrannie.
Le troisième trait est le plus important, la sainteté personnelle de Dominique, sans laquelle le reste eût été de courte durée. La sainteté du fondateur ramène à l’essentiel, non pas à la fondation même d’un Ordre, mais au but de la vie chrétienne. Prière nocturne, charité, pauvreté, miséricorde, étude et défense de la vérité, exigences religieuses, combat de la foi contre l’hérésie (« fidei pugiles », comme dit la Préface spéciale de ce jour), dépense de soi-même jusqu’à s’oublier, tout cela dessine la sainteté de saint Dominique.
Avec peut-être aussi, vertu peu prisée aujourd’hui de certains mouvements spirituels mais pas de tous, la discrétion. Il a su s’effacer devant sa fondation. Sa mort trop rapide (1221) n’en fut que l’accomplissement. Mais la première génération des frères l’avait presque oublié, c’est assez dire la discrétion perçue.

Il a fallu la proclamation de sa sainteté par la suivante (1234) pour lui rendre son éclat, définitivement.

 

fr. Thierry-Dominique Humbrecht, op

Fr. Thierry-Dominique Humbrecht