Le commencement et la fin
Le commencement et la fin
Dernier dimanche du temps pascal / Ps 96 ; Ap 22, 12-14.16-20 ; Jn 17, 20-26 /Homélie du fr Jean-Ariel Bauza-Salinas
Les derniers mots de Jésus à la cène ; les derniers mots de Jésus dans l’Apocalypse. En ce dernier dimanche de Pâques, Jean ne nous épargne rien.
Que dit Jésus, avant de nous envoyer l’Esprit ? Il nous enseigne deux choses. Le premier enseignement concerne sa personne, le second nous concerne.
Que dit-il d’abord de lui-même ? Je suis l’alpha et l’oméga, le premier et le dernier, le commencement et la fin. Je suis le descendant, le rejeton de David, l’étoile resplendissante du matin. (Ap 22, 12-14.16-20)
Le fait qu’il soit le commencement et la fin ne l’empêche pas d’être aussi le rejeton de David. Et ce Dieu qui a touché le sol des hommes, qui a mangé avec nous, qui a versé son sang et ses larmes sur notre terre assoiffée, est le même que celui qui se nomme « l’étoile du matin ». Jésus-Christ n’est pas l’astre du couchant, il est à jamais celui qui se lève, l’Orient éternel, celui vers lequel nous sommes tendus, comme des flèches qui visent toutes la même direction, comme le prêtre qui montre l’hostie non pas seulement aux fidèles mais aussi au Père : « Vois, Seigneur, ce que ton Fils a fait pour nous. Vois remonter des profondeurs de notre terre le seul don que nous pouvons t’offrir, le seul qui peut se lever vers toi, le Soleil de justice qui, en se relevant, soulève avec lui le monde, l’univers et te l’offre tout entier, et tout neuf, comme au premier jour ».
C’est lui le premier, lui l’innocent, la pureté de l’aube première, l’éclat du premier rayon de vérité.
Et ce rayon, cette lumière, cette pureté qui vient d’en haut, nous concerne :
Heureux –dit Jésus– ceux qui lavent leurs vêtements pour avoir droit aux fruits de l’arbre de vie, et pouvoir franchir les portes de la cité. (Id).
Phrase bien mystérieuse ! Et en quoi cela nous concerne ? Jésus nous parle de fruits, d’un arbre, des portes. Souvenez-vous du livre de la Genèse : Dieu renvoya Adam et Eve du jardin d’Éden et posta devant (…) les chérubins et la flamme du glaive de feu pour garder le chemin de l’arbre de vie (Gn 3, 23-24). Cette parole, alors, nous concerne, car nous sommes tous des fils d’Adam, et nous avons été renvoyés. Mais Dieu est venu inscrire sa parole dans la chair : Je suis le descendant, le rejeton de David. Je suis la porte : si quelqu’un entre par moi, il sera sauvé (Jn 10, 9). C’est lui la porte du paradis, que dis-je, du paradis nouveau, mieux encore, de la Jérusalem céleste. L’ange a rengainé son épée de feu. Le seul feu qui tombera désormais sur nous est celui de l’Esprit : feu qui transperce, vie du Fils versée dans notre nature blessée et qui la transforme. Je suis l’étoile resplendissante de votre premier matin, du jour nouveau qui se lève, de la résurrection qui vous prendra comme un incendie universel, dont les flammes se propageront jusqu’au dernier homme à la fin de l’histoire.
Mais ne nous méprenons pas : l’alpha et l’oméga, –les empreintes du Christ– ne s’inscrivent pas selon le temps d’ici-bas. L’alpha et l’oméga –vous les voyez sur ce cierge, et c’est le dernier dimanche que nous l’allumons– s’inscrivent toutes les deux sur une même surface, simultanément, après la bénédiction du feu pascal, et non pas au début et à la fin du temps de Pâques. Cela veut dire que c’est aujourd’hui notre alpha et oméga, c’est aujourd’hui notre Pâque, c’est aujourd’hui le jour du salut ! La porte est ouverte, le festin est prêt, le feu est allumé. Voici que je viens sans tarder, et j’apporte avec moi le salaire que je vais donner à chacun selon ce qu’il aura fait. (Ap 22).
Qu’avons-nous fait, mes frères, du feu qui nous a été transmis la nuit de Pâques ? Nous voici, hélas, comme des tisons fumants, des roseaux fragiles, des mèches qui vacillent, des poignées de cendres. Mais il nous a aimés le premier, tels que nous sommes, et son amour demeure. Alors, Celui qui entend, qu’il dise aussi : « Viens ! » Celui qui a soif, qu’il approche. Celui qui le désire, qu’il boive l’eau de la vie, gratuitement. (Id). Moi, je leur ai donné la gloire que tu m’as donnée, pour qu’ils soient un comme nous sommes un (Jn 17, 20-26).
Rien ne pourra nous séparer de l’amour du Christ, rien ne pourra détruire les liens de l’église épouse et du Christ époux. Et surtout pas cette société « de-genrée » et dérangée, comme disait un écrivain ; société qui se plait à empoisonner tous les dons de Dieu car elle ne veut plus accueillir la grâce. Je lisais dernièrement une citation d’Hannah Arendt, connue pour ses travaux en théorie politique, qui illustre dans le domaine social ce qu’on pourrait transposer au plan de la grâce : « L’homme moderne –dit-elle– a fini par en vouloir à tout ce qui est donné, même sa propre existence. Dans ce ressentiment fondamental, il refuse de percevoir les raisons dans le monde donné. Toutes les lois simplement données à lui suscitent son ressentiment. Il proclame ouvertement que tout est permis et croit souverainement que tout est possible. » (In Les origines du totalitarisme).
Alors, même si cette civilisation s’écroule, comme ce fut le cas au IVème et au VIIème siècle, n’ayons crainte : l’homme, soulevé par la grâce, finit par survivre. Dieu regarda la terre, elle était pervertie (…) il dit à Noé : « fais-toi une arche » (Gn 5, 12). L’arche de Christ, faite du bois de la Croix, nous accueille tous, dans l’unité, et nous voguerons encore sur ce monde. Les cieux ont proclamé sa justice, et tous les peuples ont vu sa gloire. À genoux devant lui, tous les dieux ! Tu es, Seigneur, le Très-Haut sur toute la terre : tu domines de haut tous les dieux (Ps 96, 1-2b, 6.7b, 9).
Arche, arbre, flambeau du salut : nous avons été greffés à l’amour qui ne passera jamais.
« Oui, je viens sans tarder. » — Amen ! Viens, Seigneur Jésus !