Servir. Comme Dieu.

par | 13 avril 2017

Jeudi Saint 2017

Jn 13, 1-15

Si l’un de ceux qui hurlait à tue-tête « Hosanna au Fils de David » pouvait se hisser à la fenêtre de la Cène, que verrait-il ? Il chercherait de regard un roi siégeant au milieu de ses proches, il verrait un serviteur, cruche et linge à la main, aux pieds des rustres désemparés. Plus de foule, plus d’acclamation, plus de visages excités, plus de palmes, mais une tenue de service, mais l’intimité du petit cercle : des pieds à laver, des âmes à purifier, une vie à donner. Là, tout criait la Royauté du Fils de David, ici – tout montre Dieu qui nous sauve.

Contemplons ce mystère.

Il faut une magnanimité de Dieu pour se mettre si simplement, si résolument au service des hommes. Sans arrière-pensée, sans calcul, avec une majesté souveraine laver les pieds des disciples. Prendre la toute dernière place avec le naturel et la grandeur proprement divines. Dieu n’a pas besoin de notre service. C’est lui qui nous porte, c’est lui qui nous crée, c’est lui qui nous sauve, c’est lui qui soutient tout battement de notre cœur. Tout ce que nous pouvons faire, tout ce que nous pouvons lui donner ne l’enrichisse en rien. Il nous sert avec une gratuité absolue, car nous aime avec une gratuité absolue.

Dans son amour, il veut nous rendre participants de sa vie divine. C’est pour cela qu’il nous montre comment servir. C’est pour nous diviniser qu’il dévoile par ce geste inimaginable comment prendre part à sa majesté. Servir. Servir. Faire passer l’autre avant soi. S’oublier. Se donner de la peine pour la joie de l’autre. Verser non seulement de l’eau, mais son temps, ses forces, sa vie même pour que l’autre soit heureux, vivant, pur, digne.

M’aimeront-ils en retour ? Je ne sais pas. Judas, Pierre, Jean – celui qui empruntera la voie des ténèbres, celui qui reviendra de sa trahison, celui qui demeurera fidèle près de la Croix – tous les trois sont lavés, servis, aimés par Jésus.

Cette voie toute divine est ouverte à tous. Une mère qui se dépense pour son enfant l’a prise. Un père qui se donne à sa famille. Un homme qui bâtit la Cité. Une religieuse qui se consume en prière. Une âme secrète et solitaire qui porte le monde par l’immensité de sa patience. Un militaire fidèle et droit, et ce jusqu’au bout. Un prêtre qui donne son être même dans son ministère – autant de figures où rayonne l’unique mystère du Serviteur. Le Fils de Dieu, à genoux devant ses disciples pour leur laver les pieds. Servir. Vous voulez voir Dieu ? Ne cherchez pas de regard un roi acclamé. Cherchez un serviteur.

Servir. Servir et se donner. Ceci est mon corps livré pour vous. Ceci est la coupe de mon sang versé pour vous. C’est Dieu lui-même que nous adorons dans l’Eucharistie. C’est sa chair même qui nous est livrée. C’est sa vie même qui coule en nous lorsque nous buvons à cette coupe. Qui peut donner Dieu sinon Dieu lui-même ? Quelle parole peut changer le pain en chair et le vin en sang ? La parole de Celui qui dit et les choses adviennent. Que la lumière soit. Et la lumière fut. Lazare, vient dehors. Et le mort sortit. Ceci est mon corps, ceci est mon sang. Comment le croire ? Sur la parole de celui qui nous a créés. C’est sa parole qui nous a tirés du néants. C’est sa parole qui nous donne de vivre. C’est sa parole qui nous ressuscitera au dernier jour.

Et cette parole, il l’a donnée aux hommes. A la Vierge Marie qui l’a reçue dans son cœur et lui a tissé un corps. Cette parole, il la donne ce soir à ses apôtres. Hommes fragiles et faibles, ils deviennent les ministres du Verbe de Vie. Ils nous feront renaître par cette Parole. Ils pardonneront nos péchés par cette même Parole. Ils nous accompagneront à travers la vallée de la mort jusqu’aux portes de la Cité céleste, non par leur propre force, mais par cette Parole qui s’inscrit en eux, telle une marque de fer, qui brûlera dans leur vie, malgré toute leur immense indignité. Dieu se livre. Pour de vrai. Avec une générosité et simplicité toute divines : sa parole se donne à ses ministres pour qu’il l’offrent à l’humanité entière !

Toi, un jeune homme au cœur généreux, écoute cette parole qui t’appelle. Veux-tu te donner à moi pour que par toi je sauve le monde ? Veux-tu, jeune homme, avec tes péchés et tes limites, se livrer à mon esprit pour que les multitudes se trouvent abreuvées de ma vie ? Regarde le monde plongé dans la mort. Veux-tu les faire sortir vers ma lumière ? Toi, jeune homme, toi riche ou pauvre, brillant ou simple, veux-tu me donner tes mains pour que je les consacre comme miennes ? Veux tu me donner ta voix, pour qu’elle raisonne de mon Verbe ? Veux-tu me donner ta vie, pour que des morts retrouvent la joie ?

Alors, jeune homme, toi, que le choix de Dieu a tiré de ce monde, tu ne seras plus de monde. Ta voie sera incompréhensible, cachée, elle sera ténèbres pour ceux qui cherchent la richesse, le pouvoir, le plaisir. La Croix du Christ sera tienne, mais sa gloire aussi sera tienne. Et si ton cœur est blessé par son sacerdoce, tu sera une source de vie éternelle pour des hommes sans nombre.

Servir. Se donner. Être consacré. Si l’un de ceux qui hurlait à tue-tête « Hosanna au Fils de David » pouvait se hisser à la fenêtre de la Cène, que verrait-il ? Et que voyons-nous ? 

fr. Pavel Syssoev, op

Fr. Pavel Syssoev