Plaidoyer pour un bourgeois fragile
Plaidoyer pour un bourgeois fragile
Homélie du frère Paul Marie Cathelinais, op. pour le sixième dimanche du temps ordinaire, année C.
Petit examen de conscience. Très simple. Êtes vous riche ou êtes vous pauvre ? Car entre les deux, il faut choisir ! La page d’évangile est sans ambiguïté.
Partons, si vous voulez bien de la situation la plus détestable, celle du riche ; Suis-je ce riche, le satisfait, l’assoiffé de reconnaissance que dénonce Jésus ? Peut-être… Pas totalement du moins. En tout cas bien moins que mon voisin. La preuve, mon voisin n’est pas là et moi j’y suis car j’ai mes pauvretés. J’ai eu mon lot d’épreuves. Et puis si il y a toujours un plus petit que soi, il y a aussi toujours un plus riche que soi ! Non finalement, en toute honnêteté je ne me sens pas visé. Mais si je ne me reconnais pas dans le riche, suis-je pour autant le pauvre, l’affamé, l’éploré, l’insulté, le rejeté à cause du Fils de l’homme ? On ne peut pas vraiment le dire non plus ; et entre nous avouons-le, secrètement, mais disons le : « tant mieux ! ». Ces situations de détresse n’ont rien de désirable. On ne les souhaite à personne, et il n’y a aucune raison alors de les souhaiter pour soi ! Au fond ne pas courir après la richesse ne signifie pas pour autant que l’on courre après la pauvreté. « N’être ni vraiment riche, ni vraiment pauvre » : voilà quel serait un peu la maxime de notre vie. La grande majorité d’entre nous, avons d’ailleurs réussi à trouver un compromis. Oh ! pas une sorte de démission, ou même une médiocrité choisie, comme le dénoncent trop facilement certains prédicateurs zélés. Non ! nous ne sommes pas de ces bourgeois boursouflés qui n’ont connu aucune épreuve, aucune difficulté, et même nous avons plutôt gagnés, à notre âge, une certaine lucidité tranquille sur la vie, une humilité raisonnable et bienveillante sur nous-mêmes… « Ni riche ni vraiment pauvres », on avance, c’est tout ; on est fidèle et c’est déjà beaucoup. Au terme de ce petit examen, il y a fort à parier que la lecture de cet évangile nous laisse finalement bien indifférent.
Il serait pourtant si dommage d’écouter l’évangile sans l’écouter vraiment, de quitter cette église sans s’être laisser pénétrer par la parole du Christ. Vous le savez, frères et sœurs, entre la vie du riche et la vie du pauvre, pour Jésus, pour un chrétien, c’est exclusivement la pauvreté qu’il convient de revendiquer. Pourquoi ? Parce que c’est la vérité ! Nous sommes pauvres. Il est même certain que nous sommes toujours plus pauvres que nous voudrions le reconnaître. Au fond, nous n’avons pas à choisir entre le riche ou le pauvre, puisque pauvres nous le sommes. C’est TOUT ! Fondamentalement fragiles… Inéluctablement. Nus, nous sommes sortis du ventre de notre mère et tout ce que nous avons, nous l’avons reçus des autres, d’un autre, de Dieu. Mon frère, honnêtement, entre dans la cellule intérieure de ton cœur et tu verras très vite la faiblesse de ton âme. Mais attention ! Le christ n’accuse pas ici notre fragilité, Il la béatifie plutôt. Comme un pape béatifie un saint pour canoniser une vie parfaite, Jésus, aujourd’hui, béatifie nos pauvretés, canonise nos fragilités. Oh, tout ne se résume pas à la pauvreté, ni aux larmes, ni au rejet ! Ce n’est pas tant la pauvreté qu’il s’agit de rechercher, car la pauvreté n’est jamais en soi désirable : à travers elle, c’est le Christ qui nous est donné. C’est dans ta fragilité que Jésus veut se donner comme Il se donnera tout à l’heure dans la pauvreté d’un bout de pain… Ni pauvre, ni riche : le bonheur ne se mesure en fait que par rapport à Jésus-Christ. Les Béatitudes ne se révèleront à nous qu’à la mesure de notre attachement à la personne de Jésus. Notre vraie pauvreté nous sera découverte quand bientôt l’absolu, la Vie, la vérité, la justice, la miséricorde viendra vers nous en personne. Voilà la Vie !
Les riches ne le reconnaîtront pas. Car pour les riches, la vie est cette activité brutale, par laquelle nous devons nous imposer face aux autres. Le bonheur du riche est une conquête. Il se fait et se construit à la mesure de sa capacité à imposer sa maîtrise sur la nature, sur le froid, sur la pluie, sur la nuit, sur la maladie… Pour le riche, le monde est régi par l’hostilité et la vie ne peut-être que force. Le bonheur est un du. Il se mérite. Il est une récompense. Bien malheureux que ce riche au bonheur bien humain, si temporaire, toujours fragile. Pour le pauvre, au contraire, la vie est un don. Il nous reste à l’accueillir du mieux que nous pouvons. Et l’accueillir d’abord avec un cœur de pauvre, répondre à ce don par une vive louange… « Heureux êtes-vous ». Les disciples ont d’abord reconnu le Christ et ils ont aussitôt reconnu qu’ils avaient besoin de lui. Pour vivre. Et ce bonheur, vivre auprès du Christ, ne les a jamais quittés, même dans le malheur. « Ni la mort ni la vie ni présent ni avenir rien ne pourra nous séparer de l’amour du Christ ». Quel malheur, a contrario, pour tant de gens, d’ignorer un tel don !
Etre pauvre ! Il ne s’agit pas ici de déguiser nos médiocrités en mérites… Il s’agit de reconnaître que notre vie est traversée par la faiblesse. Il ne s’agit pas non plus pour se reconnaître tel qu’on est de pleurer sans cesse sur nos faiblesses mais reconnaître que la Vie, celle de Jésus, vient traverser notre fragilité. Etre chrétien, c’est laisser la Vie nous habiter totalement, jusque dans l’aveu de notre faiblesse. « La vie, c’est la Vie, confie le curé de Torcy à son jeune prêtre. La vérité du Bon Dieu c’est la Vie. Nous avons l’air de la porter. C’est elle qui nous porte mon garçon. » Voilà le bonheur que l’Eglise nous propose.
Amen !