La Trinité Sainte : notre Milieu de vie

par | 15 juin 2014

Pour beaucoup de chrétiens la Sainte Trinité porte bien son nom de « mystère » : étant perçue comme un échafaudage dogmatique bien éloigné de notre vie et donc « mystérieux ». Une cerise sur le gâteau de la foi. Une spéculation nuageuse de théologiens qui n’a pas grande conséquence pour nous.

Mais un « mystère », au sens chrétien du terme, ce n’est pas « mystérieux » : ce n’est pas d’abord ce que nous ne comprenons pas, mais bien ce que nous n’avons jamais fini de comprendre. Ce n’est pas d’abord ce qui est incompréhensible, comme étant obscur, ténébreux, au sens mondain du terme, mais ce qui est d’abord inépuisable : Mystère inépuisable de Dieu, qui prend sa source dans l’infini de Dieu, de son Amour. C’est ainsi dans cet inépuisable premier, qu’il y a alors de l’incompris ou peut-être même un incompréhensible second.

D’ailleurs, la confession de foi en un Dieu unique, Père, Fils et Esprit, n’est pas une matière à option facultative sur le chemin de la foi, du salut : elle est la « spécificité absolue » de notre foi chrétienne par rapport à toute autre religion, démarche religieuse. Ce que les musulmans ont paradoxalement bien compris dans leur combat contre les chrétiens : si vous allez à Jérusalem, sous le Dôme d’Omar, sur l’esplanade du Temple, vous y verrez gravée en arabe une grande inscription circulaire à la base intérieure de la coupole, anathémisant les chrétiens considérés par eux comme idolâtres, comme adorant une trinité divine.

Le Saint pape Jean-Paul II, dans son entretien « Entrez dans l’Espérance », nous dit que les chrétiens ont en commun avec les croyants musulmans et juifs, la perception de la révélation du Dieu du début de l’Ancien Testament, Créateur, Tout puissant, qui fait justice, dans sa seule transcendance.

Puis que nous avons en commun avec nos frères juifs, le Dieu des prophètes, qui est Dieu qui accompagne son peuple, proche de lui : « Tu seras mon peuple et je serai ton Dieu »

Puis que pour nous chrétiens, Dieu n’est pas seulement proche de nous, il s’est fait l’un de nous, parmi nous, avec nous, en L’Incarnation, en Jésus Christ, son Fils unique et Bien-aimé : et que dans l’Esprit Saint, il devient même Dieu en nous, au jour de la Pentecôte : « afin que Dieu soit tout en tous » (1Co15,28).

Alors, en ce dimanche suivant la Pentecôte, l’Église médite et accueille le mystère de Dieu trois fois Saint qui, par son Fils, vient en nous, dans le don l’Esprit Saint.

Contemplons ce Dieu qui se tient à la porte de notre coeur et qui frappe (Ap. 3,20). Dont Jésus lui-même nous dit que si nous sommes fidèles à sa parole, son Père et lui, dans l’Esprit, feront dans notre coeur, chez nous, leur demeure (Jn.14,23). Contemplons ce Dieu qui nous a tant aimés, qu’il nous donne son Fils, non pour nous condamner, mais pour nous sauver (Jn.3,16-17), pour nous relever par son Esprit de pardon, d’Amour plus fort que tout ce qui est mort en nos vies.

Depuis le premier jour, la Trinité Sainte nous crée à son image et ressemblance, dans ce « nous » de ce dialogue divin (Gn 1, 26) : le Père nous créée par sa parole, le Verbe, avec son Fils. Et il nous crée aussi par son souffle, par son silence, par l’Esprit qui nous donne la parole, le Verbe, l’Amour du Père (Gn 2,7). Dieu venait visiter chaque soir Adam et Eve dans le Paradis : dans cette sainte familiarité divine et première. Dieu Trinité est venu visiter Abraham au plein midi du jour à l’ombre du chêne de Mambré, faisant entrer l’humanité à sauver dans la généalogie de la foi et de l’espérance, généalogie divine.

Et au jour de l’Annonciation, le Père envoie l’Ange visiter Marie qui accueille dans l’Esprit la présence du Fils de Dieu dans la tente admirable de son sein virginal, à l’humble ombre lumineuse et veillante de Joseph, de ce rameau de l’arbre de Jessé. Trinité Sainte qui se dévoile à la Transfiguration (Mt.17,1-8) en écho à sa manifestation au baptême de Jésus dans le Jourdain (Mt.3,13-17). Elle est manifestée aussi dans toute la vie de prière de Jésus qui est communion à son Père dans l’Esprit : et en plénitude dans l’exultation de Jésus devant la foi et l’espérance des humbles (Lc.10,21). Théophanie trinitaire jusque dans sa dernière prière sur la croix, dans l’humilité la plus profonde, la plus haute : « Père, entre tes mains je remets mon Esprit » (Lc. 23,46) Trinité Sainte au coeur de la Résurrection : où le Père ressuscite son Fils par l’Amour, dans l’Esprit d’Amour qui les unit, plus fort que la mort. Et Esprit du Père et du Fils que nous recevons de manière éminente à la Pentecôte, au jour de notre Confirmation.

La Trinité Sainte est Dieu qui est Amour : elle est notre « milieu » divin, éternel, source et fin, quotidien : milieu divin, vie divine, dans le lequel nous avons été plongé au jour de notre baptême – comme cela nous a été révélé dans le baptême de Jésus lui-même, où la voix du Père nous désigne son Fils bien-aimé dans l’Esprit Mt 3,13-17 – : baptême où nous avons été adoptés par, insérés à, convoqués à , appelés à, invités à cette vie divine d’amour, ce milieu divin de communion qu’est la Trinité Sainte, et dont Jésus nous envoie, de par le monde, porter la Bonne Nouvelle : « Au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit » (Mt 28,19). Dans le dessein d’Amour et de joie éternels de Dieu, la Trinité Sainte, ce « milieu divin », est par adoption recréatrice, d’où nous venons et où nous allons, dans, par, avec le Christ : lui qui vient de Dieu, du sein du Père, et nous révèle Dieu, et qui retourne à Dieu, et nous y reconduit dans la puissance de l’Esprit (Jn 1,1+18 + Jn 13,1+3).

Trinité Sainte qui est l’âme de notre âme, le coeur de notre coeur, l’Hôte de notre corps Temple de l’Esprit, la vie de notre vie, chaque jour, du premier au dernier jour, pour l’éternité. Trinité Sainte, grâce d’Amour, de communion d’Amour, qui est celle du Père avec le Fils dans l’Esprit Saint, que nous recevons en chaque sacrement : où l’Église refait dans l’Esprit Saint les gestes salvifiques du Fils, nous témoignant la plénitude de l’Amour du Père.

Chaque jour, plusieurs fois par jour, nous marquons, tout notre être, coeur, esprit, corps, du sceau de l’Amour de Dieu Trinité : en faisant dignement le signe de l’Amour de Dieu, Père, qui nous donne son Fils, dans l’Esprit, jusqu’à mourir, lui l’Innocent, pour nous pauvres pécheurs, sur la Croix : le signe de la Croix. Quand nous quittons une personne, terminons par un geste de bénédiction : une croix sur le front de ses enfants le soir, sur le front de son époux, de son épouse lors d’un éloignement de quelques jours. Bénissons au début ou à la fin de toute rencontre, comme pour la rencontre de toutes les rencontres en notre vie : l’Eucharistie, où au début nous refaisons le signe de la croix, accueillant aussi la bénédiction avec les paroles de saint Paul : « La grâce de notre Seigneur Jésus Christ, l’Amour de Dieu le Père et la Communion de l’Esprit Saint soient toujours avec vous. » (2Co.13,13). Et la bénédiction à la fin. Bénir : dire du bien à l’autre de la part de Dieu, Père, Fils et Saint Esprit.

Dans chaque Eucharistie nous participons à la liturgie trinitaire : « Milieu » premier et dernier, source et fin de nos vies, bien plus profondément encore que tous nos milieux d’origine bordelais : que cela soit les Chartrons ou Bordeaux Bastide.

Savez-vous combien de fois au cours de chaque messe, nous prions la Sainte Trinité ? Au début de chaque célébration nous nous signons « Au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit », à la fin de chaque oraison dans la doxologie, lors de notre profession de foi, le Credo.

Puis avec la doxologie de la fin de la prière eucharistique «Par lui, avec Lui et en Lui à toi Dieu le Père tout puissant dans l’unité du Saint-Esprit, tout honneur et toute gloire, pour les siècles des siècles». Avant la communion, c’est dans l’Esprit des fils adoptifs reçu en Jésus Christ que nous pouvons dire « Notre Père … » Puis la bénédiction trinitaire finale.

Ainsi, la Trinité Sainte n’est pas seulement une histoire qui se déploie dans le ciel, sans que nous y soyons conviés. La Trinité s’inscrit au coeur de notre existence humaine et la transfigure : créés que nous sommes par Dieu, à son image et ressemblance, créés pour Dieu, c’est à dire pour partager la vie divine, éternellement. Vie de Dieu Amour qui est Père Créateur, Fils Sauveur, plein de grâce, d’amour et de vérité, et Saint Esprit, qui est

Toute notre être, notre vie, nos relations humaines, spirituelles, sont marqués du sceau de la Trinité sainte.

La vie trinitaire n’est pas une vie bien au chaud, dans un petit bout d’un ciel

inaccessible. Elle est vie de communion véritable et donc ne peut être que missionnaire, vie ouverte, invitante, appelante, créatrice, recréatrice … du Père qui va jusqu’à donner plus que la vie du premier jour, mais sa Vie en son Fils, l’Innocent, pour nous, pauvres pécheurs, sur la croix : quel Esprit d’Amour du Père offrant son Fils et du Fils obéissant s’offrant pour nous.

Oui, la Sainte Trinité est notre milieu divin quotidien et éternel, est un mystère, qui n’a rien de mystérieux, mais dont l’océan de grâce nous dépasse, dépasse nos pauvres mots humains qui essayent de le dire : Dieu est Amour.

Un homme, qui avait vécu des décennies dans la précarité de la misère, à la rue, tomba malade, et fut recueilli pour ses derniers jours, dans un mouroir tenu par les petites Soeurs de Mère Térésa : entouré, soigné, veillé comme il ne l’avait jamais été durant toute sa vie, rejeté des siens, méprisé de son entourage quotidien durant tant d’années. Et voici qu’un jour, cet homme très affaibli, lève ses bras, depuis son grabat où il était allongé dans le dortoir du mouroir, vers la petite sœur qui s’occupait de lui, et lui dit « Ma Soeur, vous êtes plus grande que l’amour » .

Vivons chaque jour dans ce milieu divin de la Trinité Sainte, de l’Amour de Dieu qui est plus grand que l’amour : alors toute notre vie sera témoignage de cet Amour.

 

Ainsi soit-il en nos vies, en nos coeurs : au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit.

fr. Nicolas-Bernard VIRLET o.p.

Fr. Nicolas-Bernard Virlet