« Ce que femme veut, Dieu le veut ! »

par | 17 août 2014

Frère Antoine-Marie Berthaud

« Ce que femme veut, Dieu le veut ! »
Fr. Antoine-Marie Berthaud, o.p.
 
20ème dimanche du Temps Ordinaire année A – 17 août 2014, Bordeaux, couvent des dominicains.
D’où nous vient donc, frères et sœurs, ce proverbe bien connu qui chagrine la gente masculine un peu consciente et fait jubiler toutes les femmes quelque peu croyantes ?
Serait-ce une revanche féminine sur le reproche facile des hommes à propos du péché d’Eve ? Ou bien la manière de dire l’impuissance qu’éprouvent souvent les hommes à faire changer d’avis une femme ? C’est trop court.
« Ce que femme veut, Dieu le veut ! » Peut-être pourrions-nous simplement retenir le sens populaire de ce dicton, à savoir que la femme finit toujours par obtenir ce qu’elle désire ? C’est encore insuffisant ! Car cette sagesse populaire vient tout bonnement de l’Evangile. Et comme nous ne l’aurions jamais imaginé, d’un évangile qui nous enseigne le grand mystère de la prière et de la foi : l’extraordinaire rencontre entre Jésus et la femme Cananéenne !
Nous nous plaignons bien souvent de ne pas être entendus par Dieu ! Qu’il est bien inutile de prier puisque nous ne sommes guère exaucés ! Finalement ce qui devrait nous pousser à grandir dans la foi devient un sujet de découragement et même d’abandon de la foi. A tel point que l’esprit du monde voudrait à son tour me faire croire que « si je n’avais plus la foi… ce serait bien la faute de Dieu ! » C’est dire, frères et sœurs, l’importance de notre sujet.
Alors comment se présente cette femme à Jésus ? Elle lui adresse une demande directe, sans demande. Un peu à la manière de Marie à Cana. Vous vous rappelez : « ils n’ont plus de vin » ! « Ma fille est tourmentée par un démon » Aie pitié ! Elle expose la situation et ne craint pas de s’exposer elle-même. C’est une attitude de confiance et de remise entre les mains de Jésus. N’ayons pas peur d’adopter cette attitude fondamentale dans notre prière. Présenter au Seigneur nos vies, nos personnes, nos situations, nos joies et nos souffrances. Jésus saura bien ce qu’il a à faire. Notre prière ne consiste pas à dire à Dieu ce qu’il doit faire, mais bien à lui exposer notre prière comme une offrande.
Mais Jésus ne répond pas : c’est le silence de Dieu ! Chercherait-il à se faire prier tels les artistes qui s’assurent de leur succès pour revenir sur scène ! ?
C’est alors que, telle l’Eglise qui intercède jour et nuit au côté du Maître, les disciples appuient la demande de cette femme quelque peu insistante.
Comme à la Samaritaine en son temps, Jésus signifie d’abord à sa demanderesse que le salut vient des juifs. Et la formule d’exclusivité qu’il emploie « je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues d’Israël » est certainement une formule de mise à l’épreuve. Non pas une parole d’exclusion mais bien de provocation.
Notre Cananéenne va alors plus loin. Plus loin dans sa foi, dans son désir, dans son cri. Elle associe le geste à la parole : « elle se prosterne devant lui… – Seigneur, viens à mon secours » ! Ce n’est plus de sa fille qu’il est question mais d’elle ! D’elle en face de son Seigneur, du croyant face à Dieu. Elle appelle à l’aide dans son acte de foi, telle l’Eglise qui en appelle chaque jour au secours de Dieu en introduction à son office divin : « Dieu, viens à mon aide, Seigneur, à notre secours » ! Car nous ne savons pas prier comme il faut. Notre foi, malgré la grâce de l’Esprit Saint, est toujours chancelante et notre prière nous dépasse totalement puisqu’elle nous unit à celle du Christ et nous fait nous unir à lui !
Et là s’engage un dialogue incroyable ! Tout d’abord Jésus poursuit sa mise à l’épreuve par une parole d’une rare dureté : « Il n’est pas bien de prendre le pain des enfants pour le donner aux chiens ! » Les chiens désignent bien les étrangers, ceux qui n’appartiennent pas au Peuple élu, les goyim ! Et le pain en question, la manne divine, la torah, ne doit pas être jeté en pâture à ceux qui n’y connaissent rien, aux profanes qui le piétineraient. Car ce don de Dieu est sacré et donc réservé à ceux qui appartiennent au peuple de l’Alliance, à Israël ! Sinon il y aurait profanation ! Pour nous chrétiens, il y a là une allusion au sacrement de l’Eucharistie dont la Communion demeure toujours réservée à ceux qui désirent être au Christ en vérité.
Et c’est ainsi que Jésus fait entrer cette femme croyante dans le mystère de la foi et du salut qui n’est plus à présent réservé au seul peuple juif. En effet à la venue du Messie et comme le prédisait le prophète Isaïe (cf. la première lecture), c’est toute l’humanité qui est conviée à se rassembler et à constituer le Peuple saint sous un seul chef, le Christ, Dieu venu sauver le monde entier !
Le cheminement de la foi que Jésus lui inspire l’invite alors au consentement humble de son intelligence devant la Vérité : « c’est vrai, Seigneur ». Et son cœur s’élargit à ce que Jésus veut lui faire désirer et qu’elle n’aurait jamais imaginé. D’un besoin humain (la guérison du tourment de sa fille), elle va passer à un désir divin. D’une croyance naturelle qui la fait approcher Jésus, elle va accéder à une foi surnaturelle. Et dans sa résistance à Jésus et son acte de foi, les « chiens », que devait écarter Jésus, deviennent des « petits chiens ». Ceux qui sont vulnérables et non pas arrogants, ceux qui se reconnaissent
dépendants de leur maitre et dont ils attendent leur subsistance et leur survie. Pour elle maintenant, c’est la question essentielle. Pour elle et pour sa fille, c’est une question de vie ou de mort, éternelles, la vraie raison de sa délivrance du démon !
Pour nous chrétiens, ce passage évoque encore une fois l’Eucharistie. Les miettes tombant de la table du maître désignent bien les parcelles du Corps du Christ qui nous viennent du haut de l’autel et de l’autel de la Croix. Du haut de la croix où Dieu a fait, une fois pour toutes, miséricorde au monde ! Et cette nourriture divine, qui libère de la désobéissance et donne la vie éternelle, c’est le Christ lui-même, sa chair et son sang ! C’est son évangile, son nouveau testament, sa loi nouvelle, l’Esprit Saint qui nous fait lui obéir en toute confiance et agir selon la perfection de son amour.
Alors face à cette confession de foi totale, forte et humble à la fois, Jésus n’a plus qu’à conclure son ouvrage dans le cœur de cette étrangère devenue si intime. Et déjà il s’en émerveille, comme devant le chef d’œuvre que nous venons de fêter il y a deux jours, sa Mère, la Vierge Marie : « Femme, ta foi est grande ! » Et comme en écho à la réponse de foi totale de Marie devant l’ange, vous vous rappelez : « que tout se fasse pour moi selon ta parole ! » Jésus déclare : « que tout se fasse maintenant pour toi selon ta volonté ! » Et c’est bien ce que réalise l’Eglise en chaque Eucharistie!
Oh ! Qu’il est grand le mystère de la foi ! « Ce que femme veut, Dieu le veut » ?…
Dans la foi totale, absolument ! Maintenant, frères et sœurs, quelle guérison désirons-nous vraiment pour nous-mêmes ou pour ceux pour qui nous sommes venus prier aujourd’hui ?

Fr. Antoine-Marie BERTHAUD, o.p.

Frère Antoine-Marie Berthaud

Frère Antoine-Marie Berthaud