Libera nos a malo – fr. Joël-Marie Boudaroua, op

par | 21 février 2010

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Libera nos a malo

(Homélie du fr. Joël Boudaroua, le 21 février 2010, 1er dimanche de Carême sur Luc 4, 1-13)

Je pense ne pas avoir besoin de vous convaincre de l’existence du diable, du démon. D’abord parce que l’Ecriture en parle sous divers noms, l’Ennemi, le Tentateur, l’Antichrist, l’Adversaire, le Malin … Le livre de Job le présente comme un familier de la cour céleste, – un ange donc -, et l’Evangile comme un fin connaisseur de la Bible qui utilise la Parole de Dieu, en détourne l’esprit, pour tenter celui qui est la Parole de Dieu en personne. Et puis, c’est d’expérience que nous le vérifions ! Comme Jésus, tous les saints ont été tentés par le diable ; tous les saints ont rencontré le Grappin, comme l’appelait saint Jean-Marie Vianney. Le curé d’Ars justement disait dans un de ses sermons que si nous ne sommes pas tentés c’est que nous sommes « les amis du démon », c’est qu’il nous regarde « comme lui appartenant »  : « Il nous laisse vivre dans une fausse paix, il nous a endormi sous prétexte que nous avons fait quelques bonnes prières, quelques aumônes, que nous avons moins fait de mal que d’autres […] la tentation la plus effroyable, disait-il à ses paroissiens, le plus grand de tous les malheurs c’est de n’être pas tenté » (1).

On peut dire, paradoxalement, que si nous ne connaissons pas la tentation, c’est que nous sommes très loin de la sainteté. Mais si nous suivons vraiment le Christ, si nous marchons sur ses traces, si nous prenons l’Evangile au sérieux, alors la tentation est inévitable.  Mais sur quoi serons-nous tentés ? Pas d’abord sur des choses très graves, dont on n’ose prononcer le nom mais auxquelles tout le monde pense, des choses qui nous entraîneraient immédiatement vers l’abîme, mais sur des choses très simples …Saint Thomas d’Aquin enseigne dans la Somme de Théologie que « la tentation qui vient de l’ennemi se fait par mode de suggestion. Or, on ne propose pas à tous de la même manière une suggestion : on le fait à partir de ce à quoi chacun est attaché. Voilà pourquoi le démon ne tente pas l’homme spirituel tout de suite avec des péchés graves, mais il commence par des choses légères pour le conduire ensuite à des choses graves ». Exemple : je suis en train de lire dans ma chambre un bon livre pour préparer mon homélie, La foi des démons de Fabrice Hadjadj, le téléphone sonne, on demande un prêtre à la porterie : je me mets à détester l’importun ou l’importune qui ose me déranger dans mon travail, je descends de mauvaise humeur et j’accueille de mauvaise grâce… Le démon est pédagogue, il adapte sa pédagogie en fonction de ce que j’aime, de ce à quoi je suis le plus sensible, le plus « attaché » dit saint Thomas… « Il gratte là où ça nous démange. Il frappe, non pas tant au défaut de la cuirasse, que là où elle brille le plus, le point pour lequel nous sommes les plus fiers et pour cela les moins prévenus »(2).

La première chose à laquelle il faut être attentif, c’est donc le mode de la tentation, la manière dont il s’y prend avec nous ;  mais il y a aussi le contenu de la tentation, selon ce que nous enseigne l’Evangile du jour : changer des pierres en pain, forcer la volonté divine, se prosterner devant le Prince de ce monde. Et vous le voyez, dans ces trois tentations, qui résument toutes les tentations possibles, il n’y a rien de vraiment vulgaire ni de grossier : quel mal il y a-t-il à contenter sa faim après avoir jeûné quarante jours ? à s’abandonner à la providence divine, quel mal à vouloir plaire au monde ? Mais, en réalité, ces tentations qui dévoient des aspects essentiels de la vie chrétienne, tracent le chemin d’un bonheur uniquement terrestre, mû par une idéologie mortifère : ne plus connaître la faim, ne plus éprouver d’inquiétudes, conquérir le monde, c’était le projet des totalitarismes du XXème siècle et cela reste le projet des technocraties du XXIème : fabriquer l’homme parfait parfaitement adapté à la société parfaite.

A ces tentations, Jésus a opposé le plus net des refus : « Retire-toi Satan ! » Et il laissera à ses disciples la plus efficace des répliques, car « cette espèce-là ne peut sortir que par la prière » (Mc 9, 29) ; il laissera la seule arme par laquelle le démon puisse être vaincu : le Notre Père. Quand le démon propose de changer les pierres en pains pour nourrir tous les jours tous les pauvres du monde, osons demander à Dieu simplement notre pain de ce jour ; quand il nous suggère de mettre Dieu à l’épreuve, osons dire : Que ta volonté sois faite ; quand il nous offre le pouvoir sur la terre, osons dire : Que ton règne vienne.

Au cours de ce carême, nous serons certainement placés dans la situation du Christ au désert, puissions-nous dire avec lui : « Père, ne nous laisse pas succomber à la tentation, mais délivre-nous du mal, libera nos a malo ».

(1) Sermons de  Jean-Baptiste Marie Vianney, pauvre curé d’Ars, Robert Morel éditeur, Forcalquier, p. 134.

[2] F. Hadjadj, La foi des démons ou l’athéisme dépassé, Salvator, Parsi, 2009, p. 33

fr. Joël-Marie Boudaroua, op

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