Y’en a marre du mouton! – fr. Marie-Ollivier Guillou o.p.
Y’en a marre du mouton!
IV° dimanche du Temps Pascal, année C, Dimanche du Bon Pasteur et des vocations.
“Le Seigneur est mon berger, rien ne saurait me manquer… Gnin, gnin, gnin…”
Dans mon adolescence, c’est un refrain de psaume dont on abusait allégrement à l’aumônerie. On le mettait à toutes les sauces. C’était le cantique passe partout; le cantique de la dernière heure, voire de la dernière seconde, quand on avait rien préparé à H- 1 minute de la messe: “Bon, quel refrain de psaume pour aujourd’hui??… – Eh bien, Le Seigneur est mon berger… gnin, gnin, gnin…”
On raconte que Monseigneur Villepelet, en la cathédrale de Nantes – qui se lassait lui aussi de ce cantique suremployé – un jour qu’on l’entonne pour la énième fois à la messe, n’a pu réprimé son exaspération : “Ah non, encore du mouton!”
Non pas que le texte soit critiquable; il est sacré, c’est la parole de Dieu. Il nous rappelle un des plus beaux titres du Seigneur: Jésus est le vrai pasteur et le bon berger. Lui-même d’ailleurs se présente sous ces traits dans notre évangile. Non plus que la musique soit à ce point détestable… quoique. C’est surtout l’habitude systématique et la manière de l’interpréter, un peu mièvre, qui finit par affadir la force de l’image pastorale. Car, frères bien-aimés, rien de plus virile que cette figure bucolique du bon Pasteur: le bon berger n’est pas le gentil pastoureau qu’on s’imagine, avec un brin d’herbe entre les dents, et la tête dans les nuages, se prélassant au milieu des brebis, au bord de la rivière.
Le bon berger est un homme fort et déterminé qui prend en main son troupeau et le conduit sûrement à la vie, en donnant la sienne. Jésus donne sa vie, et pas symboliquement: il donne sa vie corporelle. Jésus y tient: dans ce chapitre 10 de s. Jean consacré au bon pasteur, Jésus emploie 7 fois l’expression “donner sa vie”. Jésus est le bon pasteur parce qu’il donne sa vie, par autorité et par charité. Par autorité; car personne ne la lui prend, mais c’est lui qui la donne, avec la lucidité sereine qui caractérise le Seigneur dans sa passion. Par charité aussi, parce qu’il nous aime et que l’amour ne cherche pas son intérêt, il le sacrifie au contraire, jusqu’à devenir notre nourriture par son corps et son sang livré sacramentellement sur nos autels jusqu’à la fin du monde. Jésus est le bon pasteur, explique encore Benoît xvi, parce qu’il connaît la voie qui passe par les ravins de la mort: il a parcouru lui-même cette voie, il est descendu dans le royaume de la mort. Et il l’a vaincue, il est maintenant revenu pour m’accompagner, pour me donner la certitude qu’avec lui je trouve un passage. Jésus est celui qui marche avec moi sur la voie de ma solitude extrême où personne ne peut m’accompagner, me guidant pour la traverser.
Tous les prêtres, tous les évêques ou les cardinaux qui sont enchaînés de par le monde, torturés ou mis à mort, rendent témoignage à Jésus bon Pasteur. Ils nous aident à sortir de nos habitudes et à rendre aux mots leur sens et leur valeur. Le prêtre dans son être sacerdotal, quand il est pressé par l’ennemi de verser son sang ou de souffrir pour le nom de Jésus, et pour l’amour de l’Eglise, nous rappelle que le bon pasteur expose sa vie: “le prêtre, écrit le père Vayssière, doit toute la journée rester ce qu’il est à l’autel; il doit vivre sa messe, être immolé et donné: en se donnant, donner Jésus. » Devrait-il le faire jusqu’à mourir, ce ne serait qu’une conséquence naturelle et presque nécessaire de son sacerdoce. Car le mystère du sacerdoce, n’est rien d’autre que Jésus, bon pasteur, aujourd’hui encore outragé, exposé, donné, livré à travers tous les prêtres persécutés ou contredits.
C’est le dimanche des vocations. Remercions notre Bon Pasteur pour tous les bons pasteurs qui nous édifient, dans nos paroisses, dans nos monastères ou nos couvents; demandons pleins d’autres bons pasteurs, qui soient de relais forts et lumineux de Jésus dans l’Eglise et au dehors. Nous faisons cette prière ardente avec le saint Curé d’Ars qui savait le prix inestimable du sacerdoce: “un bon pasteur, un pasteur selon le coeur de Dieu, c’est là le plus grand trésor que le bon Dieu puisse accorder à une paroisse, et un des plus précieux dons de la miséricorde divine”. Amen.