Les voies du Seigneur ne sont pas impénétrables

par | 22 août 2011

Frère Thierry-Dominique Humbrecht

Les voies du Seigneur ne sont pas impénétrables
Dimanche 21 août 2011, 21e du T.O., année A
Sur Romains 11, 33-36 et Matthieu 16, 13-20
Les voies du Seigneur sont-elles impénétrables ? Le texte de saint Paul, celui de la deuxième lecture, est passé en maxime, souvent utilisée de façon décalée. « Les voies du Seigneur sont impénétrables », commente-t-on, lorsqu’arrive à quelqu’un un événement inattendu, qui ne cadre pas avec son caractère, une décision de vie que personne n’attendait. Tel malfrat condamné pour proxénétisme purge sa peine en prison. On lui donne à lire un Évangile. Il se dit : « Ou bien ce sont des bêtises ou bien je suis le roi des salauds ». Il se convertit, sort de prison, se fait moine et, désormais, il mène une vie sainte : « Les voies du Seigneur sont impénétrables ».
Que veut-on dire par là ? Que Dieu crée la surprise. Ce qu’il accomplit en nous est inexplicable par les seules actions humaines. Non, la surprise n’est pas une chose morte. Dieu, et peut-être Dieu seul, est capable de la mettre en scène, de créer une rupture, de rétablir ses droits. Ce qui rend la question délicate, c’est que, par ailleurs, nous cherchons la volonté de Dieu, pour la connaître et pour l’accomplir. Nous cherchons la volonté de Dieu, mais parfois de façon très extérieure, comme si elle allait nous arriver par poste céleste, sous parchemin roulé, fermé par un ruban. Or, si nous mettons ensemble cette volonté de Dieu, qui est censée nous être accessible, et le caractère impénétrable des voies divines, nous sommes placés face à une contradiction. Dieu joue-t-il avec nos nerfs spirituels, un coup je me montre, un coup je me cache, de façon, disons le mot, arbitraire ? La Providence de Dieu apparaît alors comme un conducteur de manège de chevaux de bois, lorsqu’il laisse prendre un pompon que les enfants doivent attraper : la prise est facile pour les uns, difficile pour les autres. La gentillesse le dispute à l’injustice.
Si telle est la Providence, à quoi bon ? Elle est terrifiante.
Que veut dire « impénétrable » ? Est impénétrable ce dans quoi nul ne peut pénétrer, parce que trop difficile, par exemple une jungle. Ce que l’on a en face de soi devient un obstacle, voire une menace. On ne peut le maîtriser ni quant à la pensée ni quant au fonctionnement. L’impénétrable est plus grand que nous, il nous domine.
Qu’est-ce qui est impénétrable en Dieu ? Saint Paul le dit : sa sagesse, sa science, ses décisions. Nul ne précède le Seigneur en sa pensée, nul ne le conseille, nul ne peut donc exiger de rétribution pour les idées qu’il lui aurait insufflées. Dieu est plus grand que nous, ce qui est une évidence ; mais, en particulier, il est plus grand quant à son projet sur nous, dont les tenants et les aboutissants nous échappent. Il nous précède en tout et, dans cette hypothèse, il nous conduit vers des buts que nous ignorons, avec des moyens qui ne sont pas les nôtres et qui n’ont pas fini de nous surprendre. Tout cela est vrai. Cependant, en rester là relèverait d’une théologie insuffisamment chrétienne, encore un peu païenne, selon laquelle Dieu intervient beaucoup dans nos vies et y agit seul. Interventionniste mais capricieux, il n’hésite pas à  bouleverser l’ordre naturel des choses, de façon aussi directe qu’inattendue, et sans rien nous en expliquer.
La vision chrétienne de la Providence est toute autre. Rien n’est arbitraire dans la volonté de Dieu, tout est fondé en raison, la sienne ; tout est voulu pour notre bien, mais avec notre participation ; Dieu intervient, mais pas seul, bien plutôt par les intermédiaires que nous sommes, les uns pour les autres. C’est ainsi qu’il l’a voulu et qu’il le veut toujours. Il préfère gouverner non pas selon sa manière, manière divine, depuis sa seule liberté, mais selon la nôtre, incarnée, passant par les libertés humaines. Il est plus grand pour lui de se faire petit.
C’est aussi plus compliqué à comprendre pour nous, parce que Dieu se rend ainsi à la fois plus proche et plus discret. L’évangile de ce jour nous en apporte la confirmation, il nous donne les deux clefs principales d’une telle attitude.
Jésus demande : « Le Fils de l’homme, qui est-il ? Pour les uns, il est Jean-Baptiste, pour d’autres Élie, etc. », un prophète ou bien un autre. « Pour vous, qui suis-je ? – Tu es le Messie, le Fils du Dieu vivant ! », répond Pierre. Non seulement Dieu s’incarne en Jésus, en lequel il manifeste sa Providence mais, surtout, il rend cette manifestation peu claire.
Pierre, soumis à Jésus, est celui auquel se réfèrent les Apôtres, toute l’Église, nos communautés, vous et moi. L’Église n’est pas une machine administrative mise en place après le départ du Christ, elle est son corps. Nous avons besoin de voir des visages. Le visage de la Providence, c’est Jésus. Puisque Jésus ne nous est plus visible, jusqu’à son retour, souvenons-nous de celui à qui il a confié les clefs du Royaume : Pierre.
Aujourd’hui même, Pierre est à Madrid. Deux millions de jeunes [rassemblés pour les JMJ] sont venus prier le Christ avec lui. La Providence divine, c’est cela. Les voies du Seigneur, en elles-mêmes, sont impénétrables ; mais il a plu à Dieu de nous les montrer, de la façon la plus incarnée possible, et c’est peut-être cette visibilité qui, parfois, nous gêne. Nous préférons Dieu impénétrable, si loin, si loin… Lui, se préfère tendre, exigeant, accessible.

Ce qui ne veut pas dire qu’il se contente de provoquer la pluie ni de l’empêcher : l’orage espagnol de cette nuit l’atteste : il a trempé la foule et le Saint-Père. Un Dieu exerçant sa Providence comme un démiurge de la météo, c’est assez bon pour les dieux païens.

fr. Thierry-Dominique Humbrecht, op

Frère Thierry-Dominique Humbrecht

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