Vade retro Satana
Vade retro Satana ! C’est la deuxième fois, dans l’évangile de Matthieu, que Jésus commande au diable de se retirer. Mais on a beau, cette fois, chercher l’ange déchu à droite, à gauche, dans les airs ou dans les buissons : pas de trace du grand méchant Satan. Jésus n’a devant lui qu’un homme, une petite barrique de chair et d’os : Pierre. Un pécheur certes mais pas le diable en personne !
Alors quoi ? Cette phrase ne serait-elles qu’une exagération ? Jésus voulait-il secouer le cocotier un peu fort, histoire de donner une bonne leçon à Pierre et lui faire passer l’envie de dire des âneries ? Cette interprétation, je vous avoue, ne me convainc guère.
Jésus est le Verbe de Dieu. Quel comble, si la Parole, en personne, ne choisissait pas ses mots ! Ce que certains prennent pour une exagération ou une figure de style, selon moi, n’en est pas une. Les reproches que Pierre adresse à Jésus sont une tentation, la quatrième tentation que Jésus a subie depuis le début de son ministère public. Et, sans doute, la pire de toutes !
Au désert, le diable avait usé de coups classiques et prévisibles. Jésus sortait de son jeûne affamé et épuisé. Rien de mieux, pour tester le bonhomme, qu’un bon coup de poing dans le ventre ! « Si tu es Fils de Dieu, dis que ces pierres deviennent des pains. »
La deuxième tentation était plus subtile. Après le ventre, le cœur ! « Si tu es Fils de Dieu, jette-toi en bas ; car il est écrit : Il donnera pour toi des ordres à ses anges, et sur leurs mains ils te porteront, de peur que ton pied ne heurte les pierres. » Un chantage affectif en somme : si Dieu t’aime vraiment, il te sauvera. Jette-toi !
La troisième tentation a de quoi ébranler les hommes supérieurs. C’est la tentation du pouvoir : « Tous les royaumes du monde avec leur gloire, tout cela, je te le donnerai, si, te prosternant, tu me rends hommage. »
Jésus n’a pas vacillé. Il a écarté ces trois tentations, calmement, fermement, sans trembler. Le combat se fit en trois rounds, certes, mais tous se finirent par un K.O.
Avec Pierre, les choses sont différentes. L’ennemi, cette fois, vient de l’intérieur, du camp même de Jésus. Le tentateur est un fidèle entre les fidèles, un ami loyal, celui sur qui, justement, Jésus veut bâtir son Église. Le pire, c’est que Pierre ne se rend pas compte de ce qu’il fait. Quand il s’écrie : « Dieu t’en garde, Seigneur ! Cela ne t’arrivera pas. » il est persuadé de prendre la défense de Jésus, d’être le seul à voir clair dans cette histoire.
Mettons-nous un instant à sa place avant de le juger ! Imaginez ! Vous avez tout quitté pour suivre Jésus : votre travail, votre famille, votre cercle d’amis, votre ville… Vous croyez de toutes vos forces que Jésus est l’Élu, l’envoyé de Dieu. Vous l’avez vu faire des miracles. Vous avez vu sa gloire sur le Thabor. Et voilà qu’il vous annonce qu’il va souffrir et être tué. C’est absurde… Tout cette histoire pour ça ? Pour finir comme un agneau à l’abattoir. Nous devons trouver cela normal ? Nous réjouir peut-être ? Jésus voudrait qu’on l’applaudisse ? Qu’on le félicite quand il sera pendu sur la croix ? Qu’on le remercie, peut-être, de nous laisser seuls, quand nos propres têtes seront mises à prix ?
Jésus lit dans les pensées de Pierre. Il voit de quoi il est capable. Il sait qu’il est prêt à tout pour sauver sa vie contre lui, malgré lui. Combien de disciples, avant lui, se sont retournés contre le maître qui les avait déçus ? Combien de soldats se sont révoltés contre leur chef qui leur demandait de cesser le combat et de ranger les armes ? Avec de telles pensées, Pierre était en train de se perdre et pouvait entraîner les douze avec lui.
Il fallait donc mettre un terme à tout cela. Sans tarder. Jésus l’a fait. Sans trembler. Il a dénoncé l’essence diabolique de ces pensées. Car il y eut, avant Pierre, un ange, le plus beau de tous, dit-on, qui préféra se damner plutôt que d’obéir à Dieu. Il y eut, avant Pierre, un Esprit superbe qui, lorsqu’il apprit le projet de Dieu en faveur des hommes, se dressa contre Dieu, au nom même de Dieu ! « Comment toi, qui es Dieu, tu pourrais t’abaisser vers ces êtres terreux et inférieurs ? Comment oses-tu leur proposer de vivre ta propre vie ? T’incarner ? Mais tu n’y penses pas. Ce serait indigne de toi ! En ton nom, Dieu, au nom de ta propre gloire, je te condamne ! Je suis moi ton fidèle serviteur ! Je te défendrai contre toi-même ! » Plus royaliste que le roi, plus divin que Dieu lui-même, Satan a dicté à Dieu ce qu’il devait faire et ne pas faire ! Pierre a fait de même et c’est pourquoi Jésus l’expulsa loin de lui.
Mais c’est à cet instant aussi que Pierre fut grand. Lui qui fut traité de Satan, lui qui, devant les yeux de tous les autres disciples, fut renvoyé comme une boule, ne s’est pas entêté dans son péché. Pierre ne s’est pas révolté. Il aurait pu céder à la tentation de quitter, sur le champ, ce prétendu Christ qui, après avoir gonflé son cœur d’espoir, l’avait finalement trompé et humilié publiquement. Il est resté. Pierre aurait pu avoir honte au point de ne plus oser se présenter devant les autres. Ce cri du cœur de Jésus, Vade retro Satana, n’était-il pas le plus grand désaveu qu’on puisse entendre ? Qu’est-ce que les autres allaient dire de lui ? Dans son dos ? Qui voudrait écouter Pierre le Satan ? Tu parles d’un chef ! Voilà les pensées que Pierre aurait pu ruminer et qui auraient pu lui faire prendre la fuite et ne jamais revenir. Mais Pierre a repris humblement, docilement, courageusement sa place parmi les Douze. Il est passé derrière Jésus, comme celui-ci lui avait commandé. Respect !