C’était la Nuit – Noël (Messe de la nuit) – fr. Loïc-Marie Le Bot op

par | 24 décembre 2015

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C’ÉTAIT LA NUIT

fr. Loïc-Marie Le Bot, op

C’était la nuit. Une nuit comme des milliers d’autres depuis le jour où Dieu avait séparé les ténèbres et la lumière, et où il avait décidé qu’il y aurait un jour et une nuit, marquant le temps des hommes. C’était la nuit à Bethléem, des bergers veillaient en gardant leur troupeau. La nuit, c’est le moment difficile de la garde.

La nuit, en effet, nous  percevons les choses avec moins d’aisance, l’obscurité nous gêne, nous avons plus de peine à faire les choses même les plus élémentaires, nous sommes embarrassés pour cerner les choses, et quand la fatigue s’en mêle, nous voici vulnérables. Nous pouvons nous méprendre et prendre une chose pour une autre. Même, si les troupeaux dorment, il est difficile de voir d’où un danger peut venir.

La nuit tous les chats sont gris”, c’est bien connu. Ainsi en cette nuit, une illusion d’optique aurait pu faire croire que le puissant de cet époque est un homme qui vit à Rome dans un palais juché sur une colline, le palatin, delà il commande à des millions d’hommes à coup de lois et de décrets, avec la force de ses légions et de son administration. Il entre dans la vie de millions d’hommes et de femmes, et arrive à changer leur destin au gré de sa volonté.

Même Joseph et Marie voient leur vie bouleversée, le recensement de toute la terre – entendons : de tout l’Empire – a été décidé, et les voici en route pour obéir à cette loi humaine décidée à des milliers d’encablures de chez eux par un empereur qu’ils ne verront jamais. Oui, si il y a un puissant sur cette terre, c’est bien l’empereur de Rome. C’était bien la nuit !

Ceci dit, la nuit nous sommes sollicités d’une autre manière pour appréhender notre environnement. La vue n’est plus si importante, et les autres sens sont sollicités davantage, l’ouïe en particulier. Il faut mobiliser nos sens avec plus de force : tendre l’oreille, faire silence. On se concentre sur la moindre lumière, on s’attache à chaque petit bruit. On n’est aussi dépouillé de la vue de l’extérieur pour pouvoir se recentrer sur les pensées intérieures, les bergers veillent leur troupeau, mais pensent à demain qui s’annonce. Ils ruminent sur les aventures du jour précédent, ils laissent résonner leurs soucis et leurs joies en eux avec plus de force, leur attente se montre plus pressante. Peut-être prient-ils ? Peut-être espèrent-ils ? Ils pensent peut-être aussi aux promesses faites il y a si longtemps et pourtant répétées avec tant de constance par les prophètes : «  oui, un enfant nous est né : un fils nous a été donné (…) on proclame son nom “merveilleux conseiller, Dieu fort, Père à jamais, Prince de la Paix”. Ainsi le pouvoir s’étendra, la paix sera sans fin pour David et pour son royaume. »

C’était la nuit. Les bergers étaient ceux qui veillaient, et en cette nuit ils étaient comme les représentants de toute l’attente d’Israël en la venue du Seigneur. Ce soir leur attente ne sera pas déçue. La lumière a resplendi et le Seigneur a prodigué l’allégresse et fait grandir la joie.

Les anges, messagers de la bonne nouvelle, leur annoncent la naissance de celui qui était attendu. Un enfant nouveau-né, se trouve là dans une crèche dans une humble grotte de Bethléem. Dans la nuit, la moindre source de lumière, si petite soit-elle rayonne. Dans la nuit des hommes la vie naissante d’un nouveau-né peut resplendir comme une petite flamme fragile mais qui à ce moment obscur trouve l’environnement propice à sa diffusion maximale.

C’est sans doute pour cela que Dieu aime la nuit pour se manifester à nous. Il profite de la nuit pour se glisser, pour préparer sa venue et finalement agir comme par surprise. Le jour du Seigneur, nous le savons, viendra comme un voleur. Nous sommes moins à notre aise nous sommes plus vulnérables, nous sommes sollicités d’une autre manière, la moindre étincelle ou le moindre bruit ont plus de chance, d’être vue et d’être entendu. Pour mieux révéler sa lumière, Dieu choisit la nuit. Il arrive à se manifester à nous, selon le mode de la modestie des moyens qu’il affectionne pour une efficacité maximale. Aussi, dans la nuit de Noël, Dieu se donne à nouveau en assumant notre nature et se faisant petit d’homme, d’une manière si discrète et pourtant si efficace. Dans la nuit du monde, « le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu se lever une grande lumière », dans la nuit des hommes, la gloire de Dieu s’est manifestée en un petit enfant d’une famille inconnue dans un coin reculé de la Judée. Voilà que la nuit se trouve transformée, les bergers laissent leur veille et leur garde. Ils vont jusqu’à adorer cet enfant et lui donner l’honneur qu’il mérite : voici le messie, le Sauveur, le Seigneur, le roi des rois.

C’est la nuit. C’est la nuit, non seulement parce qu’il est tard et que nous faisons comme les bergers qui veillaient dans la nuit sur leur troupeau, nous essayons de ne pas nous endormir, c’est la nuit, car l’humanité est encore plongée dans de grandes ténèbres. Si nombreux sont ceux qui encore ne connaissent pas Jésus, si peu fêtent Noël pour qu’il est, si peu se réjouissent d’être sauvés par ce Jésus. C’est la nuit, non seulement car le soleil s’en est allé éclairer d’autres contrées, c’est la nuit parce que nous tâtonnons, aveuglés que nous sommes par notre ignorance, notre désespoir,  notre incapacité à aimer, notre péché. C’est la nuit car les forces du mal et leurs pseudo-lois sont à l’œuvre et nous laissent à accroire qu’elles sont les vraies puissances qui gouvernent le monde : les lois de la finance et du consumérisme, les lois du terrorisme et de la violence, les lois des rapports de force et de l’exploitation de l’homme, les lois de la déconstruction et du nihilisme, les lois de mort.

C’est la nuit et nous veillons. Nous sommes comme ces bergers, nous veillons et en ce moment nous attendons la manifestation du Seigneur. Comme eux en cette nuit de veille, des joies et des peines peuvent habiter notre cœur, nous sommes peut-être fatigués ou tourmentés, impatients de ce qui va arriver.

C’est la nuit, et le Seigneur Dieu de l’univers vient nous donner une Bonne Nouvelle fondée sur la relation d’amour avec Lui et avec le prochain, faite d’amour du dépouillement, de douceur, d’écoute, d’estime, d’unité de l’humanité réconciliée avec Lui, seule condition de la paix, il vient nous donner, en un mot, la Loi Nouvelle.

 

C’est la nuit et pourtant le Seigneur vient, et ne se lasse de revenir, de revenir dans notre cœur, de revenir à l’appel de son Église. Ce soir encore profitant de l’obscurité, il se glisse jusqu’à nous, jusque dans notre Eglise, dans notre communauté, dans notre famille, dans notre cœur. Ce soir, une lumière resplendit dans notre nuit. Une petite lumière, une faible flamme. Une bonne nouvelle a retenti dans toutes les églises du monde. Un message de vérité et de paix est adressé à tous les hommes. Ce n’est pas seulement une cérémonie de souvenir. Ce soir, l’Emmanuel vient nous visiter chacun, vient se manifester dans notre nuit. Ce soir autour de la crèche, sa grâce nous réchauffe, nous éclaire, nous illumine, nous purifie, nous rend courage. Ce soir, le monde recommence dans la nuit et s’avance vers la lumière. Le prince de la Paix nous a visités. A la lumière de sa gloire, nous voyons mieux et nous recevons la grâce de la louange :« gloire à Dieu au plus des hauts, et paix sur la terre aux hommes qu’il aime ».

fr. Loïc-Marie Le Bot op

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Frère dominicain