Ce troupeau qui a bien de la chance

par | 25 avril 2010

Frère Guy Touton

Ce troupeau qui a bien de la chance

Homélie du frère Guy Touton, le 25 avril 2010, 4ème dimanche de Pâques (Ap. 7,9-14; Jn 10,27-30)

Vous aurez sans doute remarqué, frères, le grand parallélisme entre la lecture de l’Apocalypse et l’extrait de l’évangile du jour. Il est dit dans l’Apocalypse que « ils ont purifié leurs vêtements dans le sang de l’Agneau », et que « l’Agneau qui se tient au milieu du Trône sera leur Pasteur », exactement comme la parole de Jésus dans l’évangile: « Je suis le bon Pasteur ». Le sang a coulé, une vie a été détruite, mais Celui qui s’est laissé conduire au supplice comme un agneau à l’abattoir, qui, « maltraité ne fit pas de menaces », de l’aveu de l’apôtre Pierre, témoin oculaire, est Celui qui maintenant « donne la vie éternelle », versant en nous tout l’amour que la mort n’a pas interrompu.

Par un retournement incroyable qui tient du mystère, on pourrait aller jusqu’à dire que Celui qui est la Vie en personne s’est attaché les services de la mort, puisque celle-ci, loin de mettre un terme à un élan, à une vie, selon ses habitude, a été, malgré elle, le sommet de la vie donnée et le début de notre salut. Ainsi, au sang versé du martyre de Jésus correspond immédiatement la vision des «eaux de la source de vie » vers lesquelles le Pasteur nous conduit, selon l’Apocalypse. On saisit mieux alors la vision testamentaire de Jean au pied de la Croix: « Un des soldats, de sa lance, lui perça le côté et aussitôt il en sortit du sang et de l’eau ».

L’organisme mort de Jésus livrait tout le secret de son âme, qui est de témoigner de la vérité, comme il le dit devant Pilate, d’en rayonner, car: « le Père et Moi nous sommes un ». C’est la vie intra-trinitaire qui déborde maintenant jusqu’à nous, avec ses échanges sans fond de l’unique amour.

Vous noterez aussi, frères, la parole d’autorité de Jésus dans cet évangile. Il dit « Je suis le bon Pasteur », l’expression « bon Pasteur » venant qualifier le « Je suis » du Christ, qui n’est autre que le Nom divin révélé à Moïse au Sinaï. Il dit aussi « mes brebis », avec ce possessif qui ne nous fait pas peur parce que nous savons ce qu’il contient de dépossession de la part du Fils qui s’est dépouillé entièrement, prenant condition d’esclave, s’est comme vidé de lui-même, selon les fortes expressions de l’hymne aux Philippiens (Ph2,6-11). Il dit enfin solennellement, à plusieurs reprises, « je », « moi je », si loin de notre moi-je, et sa chambre d’écho assez misérable:  « moi je les connais, et elles me suivent », « je leur donne la vie éternelle », « personne ne les arrachera de ma main », parce qu’il est le Fils à Qui le Père a tout remis, et notamment sa confiance. Eh bien, frères, ce que le Père a remis au Fils, le Fils nous le donne à son tour, c’est-à-dire: cette vie dite éternelle qui est le sceau et le chiffre de la charité surabondante qui est en Dieu. Du même mouvement que le Fils reçoit il donne, et nous voici faits héritiers d’une pure merveille. Par pure grâce et joie de donner.

Jean prolonge et creuse le parallélisme indiqué au début en faisant dériver l’autorité du Fils sur la mort et le néant: « jamais elles ne périront, personne ne les arrachera de ma main », de celle du Père: « personne ne peut rien arracher de la main du Père », confirmant et scellant le grandiose « Mon Père et Moi nous sommes un ». Notez-le aussi: Jésus ne dit pas « mon Père et Moi nous sommes unis », comme  un couple soudé pourrait le dire, il dit bien plus immensément encore: « nous sommes un », signifiant par là que le Père habite dans le Fils et le Fils dans le Père, car Dieu est esprit. Leur unité est si indissoluble que la mort s’y est rompu le cou. Nous venons de le fêter à Pâques.

Quant à nous, frères, qui venons « de la grande épreuve » comme tous ces gens en vêtements blancs de l’Apocalypse, il ne nous reste qu’à retourner à nos chères études, je veux dire à scruter avec l’oeil du coeur et l’oreille de l’âme, la parole de Dieu consignée en forme de témoignage saisissant. Dès maintenant, dans la foi, à chaque eucharistie, nous pouvons toucher, à travers le voile, ce Corps du Christ moulu comme du pain. Nous pouvons le voir, quand nous nous laissons regarder par Lui, au creux de l’oraison et de la rencontre de communion, puisqu’aussi bien « ils regarderont celui qu’ils ont transpercé ». Nous pouvons l’écouter, si nous ne l’entendons pas encore de vive voix, en plaquant l’oreille à sa Parole, qui a l’accent surnaturel de l’Esprit-Saint. C’est bien vrai, frères, que Dieu a un accent: l’accent naturel du Vent qui passe, indéfinissable, non localisable, mais bien là. L’accent du pays du Ciel!

fr. Guy Touton, op

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