Seigneur, apprends-nous à prier – fr. Joël-Marie Boudaroua op

par | 25 juillet 2010

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Seigneur, apprends-nous à prier…
 
(Homélie du fr. Joël-M. Boudaroua, le dimanche 25 juillet 2010 sur Luc 11, 1-13)
 
La prière, plus que le rire peut-être, est le propre de l’homme. Sans doute faut-il apprendre à prier, mais un homme qui n’a jamais prié cela n’existe pas ! D’abord parce que la prière se rencontre dans les simples relations humaines : « Mon ami, prête-moi trois pains, je te prie : un de mes amis arrive de voyage, et je n’ai rien à lui offrir »… Mais, bien sûr, dans sa forme la plus haute la prière s’adresse à Dieu pour lui demander de produire ce que nous désirons, pour obtenir ce que nous estimons nécessaire pour nous-même ou pour autrui selon la parole même de Jésus : « Demandez et vous recevrez, cherchez et vous trouverez, frappez et l’on vous ouvrira ». Il semble donc que la prière, si elle peut prendre des formes diverses et variées (contemplation, louange, action de grâce) désigne surtout la prière de demande, la prière qui nous paraît la plus naturelle…. en tout cas la plus facile !  Or, nous en avons tous fait l’expérience, souvent, après avoir beaucoup prié, beaucoup demandé, longtemps frappé à la porte, nous n’avons rien obtenu, rien reçu, personne ne nous a ouvert, Dieu n’a pas répondu à nos demandes. Et cela a quelque chose de dramatique parce que pour beaucoup de gens, si le ciel ne répond pas, c’est qu’il est vide, c’est que Dieu n’existe pas, que la prière est inutile, qu’il ne sert à rien de prier. Les maîtres de la prière, les « grands priants » (P. Loew) eux nous apprennent que si nous ne sommes pas exaucés, c’est essentiellement pour deux raisons : soit parce que nous ne demandons pas ce qu’il faut ; soit parce que nous ne demandons pas comme il faut. Nous demandons mal, ou nous demandons des choses mauvaises, selon le mot de saint Augustin.
Que faut-il donc demander et comment faut-il le demander si nous voulons être exaucé ? Ce qu’il faut demander Jésus l’enseigne dans le Pater, « la prière essentielle, universellement vraie et nécessaire » (Raïssa Maritain), la prière parfaite à laquelle il n’y a rien à ajouter…sauf peut-être cette ultime demande, celle de l’Esprit Saint : « Seigneur, donne-nous aujourd’hui ton Esprit Saint », l’Esprit qui planait sur les eaux avant la création, qui a couvert la Vierge de son ombre, qui a ressuscité Jésus d’entre les mort, l’Esprit d’amour et de vérité, de consolation, de joie, de paix… c’est lui qui nous enseigne à prier vraiment comme il faut, ainsi que l’affirme saint Paul : « L’Esprit vient au secours de notre faiblesse, car nous ne savons pas ce qu’il faut demander pour prier comme il faut, mais l’Esprit intercède pour nous en des gémissements ineffables, et Celui qui sonde les cœurs sait quel est le désir de l’Esprit et que son intercession correspond aux vues de Dieu » (Rm 8, 26). Ce qu’il faut demander, c’est l’Esprit Saint et prier comme il faut c’est prier comme Jésus, avec les mots de Jésus, ou encore « au nom de Jésus » et même « dans le nom de Jésus », c’est insérer notre prière dans sa prière ; oser dire, selon son commandement et avec la grâce de l’Esprit Saint : Notre Père, afin de mettre notre prière au service de Dieu, de ses vues, de ses projets, de son dessein de salut. Or, très souvent, nous considérons au contraire que la prière a pour but non seulement l’accomplissement de nos propres projets, de ce que nous voulons ou avons décidé, mais encore de changer, de modifier les vues de Dieu, « ce que Dieu a disposé de toute éternité dans sa divine providence », comme dirait saint Thomas[1]…Et certains passage de la Bible semblent favoriser une telle conception de la prière, comme par exemple l’intercession d’Abraham pour Sodome (Gn 18, 16-33), qu’on lit trop superficiellement comme un marchandage auquel Abraham se livre avec Dieu, comme si Dieu, de guerre lasse, au terme de ce bras de fer ou de ce chantage affectif pouvait changer d’avis ! Mais Dieu ne change pas d’avis, ni ne revient sur ses décisions… Il faut donc se dire, à la lecture de cet épisode, que Dieu voulait certainement sauver Sodome, et qu’il voulait se servir de la prière d’Abraham pour réaliser son dessein, si on y avait trouvé dix justes… Autrement dit, ce n’est pas Dieu qui se laisse fléchir, qui modifie ses projets à la prière d’Abraham, c’est Abraham qui s’intègre dans le plan de la providence divine qui prévoit et veut de toute éternité cette prière afin de donner son salut en réponse à cette prière que lui-même a suscité au cœur d’Abraham. La prière, la prière chrétienne n’est pas un marchandage, une incantation, une amulette agitée devant la divinité jusqu’à ce que les vents soient favorables. C’est une coopération entre Dieu qui veut donner et l’homme qui demande. C’est la mise en valeur, peut-être la plus haute, de notre dignité d’enfants de Dieu car « nous n’avons pas reçu un esprit d’esclave pour retomber dans la crainte, mais un esprit de fils adoptifs qui nous fait nous écrier : Abba, c’est-à-dire Père » (Rm 8, 15) et nous ne vivons pas sous la menace des mouches de Jupiter, mais sous la loi de Celui qui nous fait participer, par notre action et notre prière, à la réalisation de son dessein bienveillant[2].
Pourquoi Dieu veut-il ainsi nous associer à la réalisation de son dessein de salut alors qu’il pourrait agir seul, pourquoi faut-il prier pour obtenir ce qu’il veut déjà nous donner ? Saint Thomas avance ici deux raisons ; la première est d’ordre moral : la prière, spécialement la prière d’intercession, relie les hommes entre eux, elle créée des liens de solidarité entre les personnes, elle contribue à l’unité du genre humain et il est bon, en effet, que nous prenions soin les uns des autres dans la prière, que nous nous sentions, de ce point de vue, responsable d’autrui ; la deuxième raison est d’ordre psychologique : la prière est nécessaire et bénéfique pour celui qui prie ; elle lui fait prendre conscience de ses propres manques, de ses limites, et finalement de ces vrais désirs et par là le dispose à être exaucé.

Que la prière nous éveille aux vrais désirs que Dieu suscite en nos cœurs ! Ne quittons pas les puits profonds des vrais désirs pour les puits desséchés qui ne gardent pas l’eau.

[1] Voir Serge-Thomas Bonino, « Providence et causes secondes, l’exemple de la prière », dans Saint Thomas d’Aquin, Les Cahiers d’Histoire de la Philosophie, dir. T.-D. Humbrecht, Cerf, Paris, 2010, pp. 493-519
[2] Cela signifie-t-il que nous ne devons pas demander dans la prière « les bonnes choses », les biens particuliers que sont par exemple la santé, la réussite, les richesses ? Nous le pouvons, à condition qu’ils soient subordonnés aux biens spirituels et en sachant que Dieu peut ne pas exaucer telle prière relative à des biens secondaires.

fr. Joël-Marie Boudaroua op

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Frère dominicain