Le pauvre Lazare : un nom et notre programme !
Le pauvre Lazare : un nom et notre programme !
Année C – 26ème dimanche – Temps Ordinaire
Cela se passe de commentaires… [cf Luc 16, 16-31]. Le miséreux consolé, le riche tourmenté, Jésus arbitrant : un évangile basique… Pourtant est-ce si simple ? Jésus s’est inscrit à la suite de Moïse et des prophètes. Les pharisiens pouvaient d’eux-mêmes se conduire comme Jésus le demande ; or, il n’en fut rien. Mais pensons à nous : si nous sommes lucides, interrogeons-nous ; nous, les destinataires de cette parabole.
Si parmi nous, certains se réjouiront de l’avenir consolant offert à ce pauvre Lazare, d’autres, plus conscients ou plus craintifs, se demanderont comment éviter pour eux-mêmes, cette issue funeste promise au riche festoyeur. De la table à l’abîme, la chute est fatale, livrant des tourments pour seul avenir…
Par ailleurs, si nous ne sommes pas comme ce riche, nul d’entre nous n’imagine devenir comme ce Lazare avec sa misère, ses plaies, ses ulcères. Aux yeux de qui représenterait-il l’image d’un avenir humain ?
D’autres enfin, plus habiles à se tranquilliser l’esprit, pensant échapper à un tel jugement, plus caricatural que divin en sa formulation, voudront se souvenir que cette parabole unit inventions topographiques, dialogues dramatiques et images fortes, ajoutant au « poids des mots, le choc des photos ». Pourquoi ne pas réduire à un « genre littéraire », ce que le catéchisme de l’Eglise nomme « jugement particulier » celui qui vient à la fin de notre vie ? Ne serait-il pas sage de chasser ce mauvais rêve ? Allez, du bon sens ! On ne peut accueillir toute la misère du monde ?
D’ailleurs, n’en faisons-nous pas déjà beaucoup en termes de charité sociale ? – Et c’est vrai !
Cependant, la parabole reste, incisive, réclamant notre conversion évangélique… Pour qui aujourd’hui sera-t-elle une bonne nouvelle ? Devrait-on s’appeler Lazare ?
Le riche festoyeur n’avait pas vu Lazare. Toutefois, il n’est nulle part dit qu’il était méchant. Il était simplement riche. Lorsqu’il aura été jugé par Dieu, ne nous montrera-t-il pas qu’au fond de l’abîme infernal il aura eu de bons sentiments fraternels, voulant aider et sauver, comme le Seigneur ! Qu’en penser ?
Mais Moïse, les prophètes, Jésus exigent que nous regardions en revanche notre avenir dès à présent, voyant ce Lazare derrière notre portail. La doctrine sociale de l’Eglise ne guide-t-elle pas notre comportement ici-bas ? Un choix s’offre à nous : avec ses deux pôles, il pourrait bien être binaire : abîme infernal ou sein d’Abraham. Il faut aujourd’hui choisir.
Or les conséquences seront éternelles ; ce sera sans proportion ! Mais en revanche, il est révélé que notre vie a une densité réelle. Notre identité se développe avec les choix que nous posons. A cette « image de Dieu » inscrite en nous – et que le baptême restaure et illumine -, notre intelligence, notre volonté apportent des éléments ; elles nous construisent, ainsi qu’y veille la grâce de Dieu. « L’être étonnant que je suis » – comme dit le psaume (138) – grandit parmi les fils d’Adam, sous le regard de Dieu…
Certes, Jésus nous demande de faire un choix réel contre la pauvreté de misère ; car la pauvreté de Lazare n’est ni vertueuse, ni religieuse. Et Jésus inscrit ce choix à poser dans une perspective d’éternité. Si Jésus veut que nous disions : « La pauvreté ne passera pas par moi », il nous demande de nous conduire ainsi.
Il ne demande pas seulement une morale humaine – bien que justice, force, tempérance et prudence aient toute leur place pour résoudre le fléau de la misère que l’on voit à toute heure. Mais Jésus nous élève. La vie éternelle est en jeu au quotidien. Dieu le sait, mieux que nous, et il prend les devants.
D’abord, il nous aide : c’est le sens du nom Lazare. Dans la parabole, deux protagonistes sont là, dont un seul est nommé ; il est exceptionnel que le héros d’une parabole reçoive un nom.
Ce nom est pour nous : « Celui que Dieu aide ». Revêtons-nous de ce nom ce matin. Il est celui de l’ami de Jésus, le frère de Marthe et de Marie, devant la tombe de qui le Seigneur réalisera le plus grand des signes annonçant la résurrection (cf Jn 11). Le nom de l’ami avec qui Jésus prophétise ce qu’il offre à chacun : résurrection et vie éternelle. Cette aide qui nous sauvera de la mort, de l’enfer. Demandons-la !
C’est elle qui nous transmettra les sentiments du Christ et la vérité de sa charité, efficace, tenace.
De plus, ce nom dit notre reconnaissance. N’est-il pas mystérieux que ce nom de Lazare vienne comme une bénédiction sur ce malheureux, inconnu gisant au pied de la porte fermée, devant le riche festoyeur ? Cette situation élève jusqu’à Dieu la misère humaine, alors qu’il n’est pas dit que ce pauvre se plaigne à lui ! Pourtant Dieu l’aide ; et son nom et sa vie ne font plus qu’un dans le sein d’Abraham pour l’éternité.
On pourra rétorquer que saint Luc est trop raide dans son souci du pauvre ; que les riches ne sont pas scandaleux, du fait qu’ils auraient des biens ; que la misère n’est pas une solution à prôner, et qu’une vraie richesse est à dégager – et qu’on peut en user au bénéfice de chacun et de la société ; qu’il faut entreprendre autant qu’aider pour que la société vive ; que si le blanc et le noir sont parfaits dans le blason dominicain, chacun sait que la vie sociale ne se réduit pas en un schéma binaire entre riches et pauvres. Ce serait inefficace : « La folie des grandeurs », et son expression violente : « Les pauvres c’est fait pour être très pauvres et les riches très riches ! », c’est pour les films, les rires ou … les cauchemars, en cas de mise en œuvre !
Reste donc Lazare, le pauvre bienheureux ! Un nom, notre programme, celui de notre vie personnelle, responsable, rappel du bien à réaliser, fécondé par l’aide venue de Dieu.
« Suis-je le gardien de mon frère ? », pouvons-nous parfois nous demander. Oui ! nous répondra Dieu : le riche aurait dû l’être ! Mieux qu’un gardien, devenons une bénédiction pour ce frère que l’on verra avec lucidité ! Alors la pauvreté de Lazare nous aura enrichis. Elle nous offrira la charité de Dieu.
Si cette parabole se passait de commentaires, elle réclame en revanche nos essais. Mieux encore que chacun transforme la parabole en expérience, par la grâce du Seigneur : de son nom, faisons notre programme !