Lazare
Ou l’unique parabole dotée d’un vrai prénom !
Homélie du fr. Paul-Marie CATHELINAIS o.p. 26 septembre 2010, 26ème du T.O. année C
Sur Am 6, 1a. 4-7 ; 1 Tm 6, 11-16 ; Lc 16, 19-31.
Un bon sermon se doit de livrer deux types d’enseignement. Le moral et le théologique, l’exhortation et la prédication, la conversion des mœurs et la nourriture pour l’intelligence. Pour l’exhortation pas de problèmes ; l’évangile est trop clair, pas besoin de longs discours. Juste une question. Cette parabole est la seule entre toutes à dévoiler le prénom d’un de ses personnages : Lazare. Frères et sœurs, connaissez vous au moins le prénom d’un pauvre qui quête près de chez vous ? Cela devrait suffire pour la morale. Quant à l’intelligence du texte et à sa cohérence avec les principes chrétiens, l’affaire s’annonce plus complexe… Même pour un dominicain !
Primo, de toutes les paraboles, seule celle-ci nomme son personnage de telle sorte que cette parabole annonce l’avenir ! À ce qu’Abraham refusa, Jésus va répondre positivement. Lazare reviendra bel et bien d’entre les morts. Or, en le ressuscitant ce n’est pas à Lazare que Jésus redonna une seconde chance, c’est aux aveugles, aux mauvais juifs, aux mauvais riches de son temps ! A cette première raison, première leçon : Dieu a fait son maximum. En s’incarnant d’abord ! Lui que nul œil ne peut voir sans mourir ! Lui que personne ne peut voir, voilà qu’il s’est fait voir sous les traits d’un homme, prenant le risque d’être traité comme un homme. Lui le Créateur prit le risque de se faire traiter de créature ! Dieu a fait son maximum en nous livrant son fils ! Sur la croix il manifesta sa miséricorde infinie, prenant le risque que nous falsifions sa Justice en une règle molle et sans valeur ! Mais pourquoi Dieu fait-il tant d’efforts si à la fin tout le monde gagne comme à l’école des fans ?
La peine que Dieu prend, que les prophètes ont prise, la peine que Jésus s’est donnée, la peine que je prends en ce moment à vous parler, la peine de tous ces jeunes frères qui viennent de consacrer leur vie, la peine que vous avez prise à venir ce matin dans cette église, toutes ces peines réunies à crier, à prêcher, à saigner, à pardonner devraient décidément nous convaincre que nos actes ont une incidence réelle sur notre salut. « On n’entre pas au Paradis en laissant notre histoire personnelle au vestiaire ! » Tous nos actes comptent. Voilà pourquoi Dieu fera toujours son maximum ! Pour que nous donnions nous aussi notre maximum. Ainsi dit Dieu: « tu n’es pas toi malgré toi ! Tu es ton cœur qui a aimé, ton regard qui a accueilli ou rejeté, ta voix qui a prêché ou blasphémé, ta main qui a donné ou bien volé, « tout en toi a du prix à mes yeux ». Bien sûr cette vérité peut-être écrasante à bien des égards et pourtant elle donne sens à notre vie, à nos combats, à nos demandes de pardon, à notre quotidien le plus simple, à nos piétés et même à nos tendresses. Notre vie est digne d’être vécue et cette vérité nous donne en fait un grand courage pour continuer à nous battre, à construire ou, tout simplement, à patienter.
Oui ! Dieu fait son maximum et c’est pourquoi sur la tombe de Lazare et sur la vie des pauvres, Jésus pleura. C’est sur ce pauvre Lazare, couvert d’ulcères, que Jésus pleura. Il pleure de compassion bien sûr mais il pleure plus amèrement encore sur la malice des riches. De toute Éternité Dieu avait en effet prévu que l’homme serait aussi la providence de l’homme. « Emplissez la terre et soumettez-la », cultivez ce jardin et gagnez en richesses pour être gardiens de vos frères. Au commencement donc le riche devait s’enrichir, grâce à Dieu, pour sauver les Lazare ! Oui, par le riche, Dieu voulait venir en aide à Lazare. Malheureusement il en va des dons de Dieu comme une source d’eau pure qui coule sans tarir : si près de la source se tient un poison, plus l’eau est abondante plus le poison se répand ! Par sa malice, l’homme a fait ainsi de sa richesse un signe de malédiction. Alors Jésus pleura ! Ce sont des larmes de compassion et des larmes de lamentation devant le cœur de l’homme. « S’ils n’écoutent Moïse et les prophètes, quelqu’un pourra bien ressusciter d’entre les morts, ils ne seront pas convaincus ! »
Pourquoi ? Quel est ce poison qui coule près de la source ? Qu’est ce qui fait du riche un mauvais riche ? C’est qu’il fuit, il a peur, comme Adam derrière son buisson. Le riche fuit Lazare et ses plaies et son odeur de mort. Car Lazare c’est lui, c’est le mauvais riche. L’homme qui dort dans des lits d’ivoire et se gave des plus belles agnelles du troupeau est riche extérieurement mais intérieurement il est ce Lazare, un homme couvert d’ulcères. La mort survint, l’extérieur disparait et le monstre intérieur qu’il est surgit alors dans un miroir éternel. Lazare est là, à ses portes, pour lui rappeler sa propre misère, son péché, ses ulcères. Or le riche a peur de cette vérité qui pourtant libère. Ah ! s’il avait su la joie de s’occuper d’un pauvre, la joie d’aller à Lourdes pour accompagner une personne malade, la joie d’être sa providence et la joie du cœur qui se dilate à sourire à ce pauvre qui nous apprend à nous aimer nous-mêmes ! Ah s’il avait seulement connu cette joie de ne lui donner rien qu’un prénom !
Quant à nous, frères, soyons dans la joie car l’amour dans cette liturgie est le plus fort. Par le sacrifice de cette messe, par notre adoration et notre foi, par la messe, Jésus va venir restaurer en nous l’homme intérieur. Le vieil homme en nous couvert d’ulcères et de plaies léchées par des chiens va mourir avec Lui. Dieu vient montrer sur la croix ce que l’homme peut faire à l’homme, c’est Dieu qui se fait Lazare ! Pour faire de Lazare, un riche, un bon riche, riche de vie et d’amour. Le voici l’Agneau de Dieu qui enlève le poison du monde. Chrétiens ! Demandons sa grâce, unissons-nous à lui et contaminons le monde…. de son Amour. Lazare, lève-toi !
fr. Paul-Marie Cathelinais, op