Des Seigneurs et des Maîtres

par | 28 mars 2010

Frère Pavel Syssoev

Des Seigneurs et des Maîtres

Homélie du fr. Pavel SYSSOEV o.p. 28 mars 2010 dimanche des Rameaux année C ; selon Lc 19, 28-40                                                                            

Bénis soit celui qui vient, lui, notre Roi, au nom du Seigneur…

 

Ce Jésus, que nous avons acclamé, est-il vraiment le Seigneur ? Car des seigneurs et des maîtres, l’univers en regorge ! Ils se pressent de toute part pour attirer notre attention, pour être adorés, suivis ; ils nous fascinent et de fait ils sont fascinants ! Notre histoire est une foire aux Seigneurs.

Regardez ! Voilà un prophète d’Orient, à l’image de ce que le Seigneur doit être : chef de guerre pour la vraie foi, sans fléchir, sans gémir. Les troupes de fidèles le suivent, les conquêtes se succèdent. Son sabre en demi-lune brille par-dessus leurs têtes, la bénédiction de la victoire plane au-dessus de lui. Malheur à quiconque s’oppose à sa prédication. Le prophète mène ses fidèles jusqu’à ce que l’unique vraie foi domine le monde.

Et le nôtre ? Le nôtre sur son petit âne semble bien pâle. Son triomphe – nous le savons – ne durera qu’un instant. L’abandon, la trahison, l’immense solitude, ce gémissement dans la nuit profonde : Père, si tu veux, éloigne de moi cette coupe. Sueur de sang pour seule réponse. Êtes-vous sûrs qu’il soit vraiment Seigneur ?

Ou bien, regardez encore : voilà un véritable maître de la Sagesse ! Dans la bienheureuse impassibilité, hors des illusions de ce monde, rempli de paix il goûte la sérénité de sa contemplation. Ne rien désirer, ne rien craindre, flotter sans attaches, pur comme un lotus sur un lac. Vous cherchez un bien-être ? Venez à lui ! Vous désirez un repos hors de tumulte de ce monde illusoire ? Apprenez de lui comment ne pas aimer ce qui vous fait souffrir !

Et le nôtre ? Notre pauvre maître, qui est-il en comparaison ? Tellement vulnérable ! Il aime, c’est sûr, mais c’est pour cela qu’il souffre. Il s’enfonce dans sa souffrance par l’attachement. Que peut-il nous proposer sinon d’aimer comme lui et donc de souffrir comme lui ? Etes-vous sûrs de votre choix ? Ne faudrait-il pas prendre pour maître et seigneur quelqu’un de plus raisonnable ?

Enfin regardez un véritable maître et seigneur de ce monde ! Puissance, richesse, plaisir – tout pour vous, si seulement vous l’adorez. Ce monde, ce siècle, cette force, cette raison triomphante – tout le sert. Les savants les plus brillants sont là, les politiciens sont là, les médias, les armées et les polices – les grands au service du prince de ce monde. Il y a même des théologiens qui prêchent avec enthousiasme le maître de ce monde : ne faut-il pas « suivre son temps » ? Et il leur donne tout ce pouvoir et la gloire de ces royaumes, car elle lui a été livrée, et il la donne à qui il veut. (Lc 4, 6) L’humanité tout entière semble éclater en cris de joie à ses pieds – nous aussi parfois – pourquoi ne pas nous livrer au culte de plaisir et de puissance qu’il propose ?

Le nôtre, le seigneur à nous n’est pas très fort en plaisirs de ce monde. Les béatitudes qu’il enseigne ont un goût amer de souffrance : avoir faim et soif, être persécuté pour la justice, cette mystérieuse pauvreté de l’esprit… Etes-vous sûrs de vouloir le suivre ?

Regardez-le, regardez-le bien et ne dites pas après que vous n’étiez pas prévenus : c’est dans la mort qu’il s’enfonce, c’est dans la Passion qu’il entre, acclamé par la foule en liesse. C’est vers notre mort qu’il s’avance. Bénis soit celui qui vient, lui, notre Roi, au nom du Seigneur… Quelle est cette royauté qui a besoin de boire notre mort jusqu’à la lie ? Quelle est cette seigneurie qui ne se refuse pas à notre humiliation ? Quand on lui crache dessus, et quand on le gifle, et quand le roseau s’abat sur la couronne d’épines qui s’enfonce dans son crâne – s’il est le Seigneur, pourquoi l’accepte-t-il ? Parce qu’il nous aime. C’est si simple. Mais quand on voit comment nous avons accueilli notre Sauveur aux jours de sa chair, comment nous l’accueillons aujourd’hui encore – c’est tellement inconcevable qu’il puisse nous aimer !

Il y a sûrement quantité de dieux et quantité de seigneurs, dira saint Paul. Mais je ne connais aucun autre qui m’aimerait comme celui-ci. Je ne connais aucun autre qui donnerait sa vie pour moi. Je ne connais aucun autre qui se dépouillant de sa gloire aurait pris ma chair pour mourir pour moi. Les faux-prophètes peuvent singer sa sagesse ; les démons peuvent se vanter d’une illusion de puissance ; les aventuriers peuvent quêter la réussite, mais son amour seul le rend digne de foi. La Passion du Seigneur nous dit sa Royauté d’une manière qui ne trompe pas notre cœur. En comparaison avec le Crucifié, toute autre Seigneurie n’est qu’une supercherie, illusion ou usurpation. Comme le dit saint Paul : 5 Car, bien qu’il y ait, soit au ciel, soit sur la terre, de prétendus dieux —  et de fait il y a quantité de dieux et quantité de seigneurs — , 6 pour nous en tout cas, il n’y a qu’un seul Dieu, le Père, de qui tout vient et pour qui nous sommes, et un seul Seigneur, Jésus Christ, par qui tout existe et par qui nous sommes (I Co 8, 5-6).

fr. Pavel Syssoev, op

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