Le Maître de festin

par | 29 août 2010

Frère Pavel Syssoev

Le Maître de festin

Homélie du fr. Pavel SYSSOEV o.p.dimanche 29 août 2010 22ème T.O. année C selon Lc 14, 1-14

Par les commandements que Dieu nous donne, non seulement il nous enseigne ce que nous avons à faire, mais aussi il nous renseigne sur ce qu’il est lui-même. Celui qui prescrit d’aimer ses ennemis, n’est-ce pas celui qui fait lever son soleil sur les justes et les injustes et qui donne sans cesse sa grâce aux bons et aux méchants ? Ce que Dieu nous ordonne nous dit ce qu’il est, et son commandement d’amour n’est qu’un reflet de son propre être : Dieu est amour.

Pour que nous comprenions bien, Dieu organise régulièrement des démonstrations grandeur nature. Quand tu donnes un festin, invite des pauvres, des estropiés, des boiteux, des aveugles, et tu seras heureux, parce qu’ils n’ont rien à te rendre. Chaque dimanche, avec une fidélité mono-idéique, Dieu organise ce festin, ce repas eucharistique où il invite sans jamais se décourager des pauvres. Des estropiés. Des boiteux et des aveugles. Et il est heureux car nous n’avons rien à lui rendre. Pour nous c’est peut-être une routine, on va à la messe parce qu’on va à la messe, mais pour lui, c’est toute autre chose. Pour Dieu ce festin est une fête, une joie et un plaisir, l’espérance jamais ternie de nous voir plus heureux, plus divins, mais aussi plus nous-mêmes à la sortie de ce repas. Comme Un festin de Babette qui change les cœurs, avec cette différence pourtant, que la nourriture qui nous est donnée, n’est pas un signe de l’amitié de notre Hôte (qui aime bien, nourrit bien, dirait frère David), mais notre Hôte lui-même qui se donne à nous.

En ce repas Dieu ne reste pas loin, tel un Maître qui demeurerait sur son estrade pendant que ses estropiés et ses aveugles se réjouiraient de ses largesses, le plus loin possible. Rien de tel. Il va les servir en ce repas. Plus encore, ce qu’il leur donne, n’est rien d’autre que sa vie même. Ce que Dieu distribue à pleines mains à chaque messe c’est lui-même.

Quelle douleur de voir les visages absents, les regards éteints au moment de la communion ! Les pensées qui sont ailleurs, les mains molles qui reçoivent Dieu lui-même comme on recevrait un tract publicitaire. Le Corps du Christ. – Merci.  On reste saisi devant une telle insensibilité. Lorsqu’un chrétien proclame son Amen devant le Corps du Christ qui s’offre à lui, il confesse sa foi : oui, il est vrai, Dieu nous a aimés jusqu’à se faire l’un de nous, jusqu’à se donner à nous sous ses humbles apparences du pain et du vin. Cet Amen n’est pas simplement une petite formule ritualiste, c’est une réponse d’un cœur aimant, reconnaissant, désireux d’accueillir ce Corps qui se donne.

L’Église vit de ce festin. Car qu’est-ce que l’Église ? Une communauté créée par un appel de Dieu, une communauté qui naît de la communion à Dieu. Nous comprenons alors aisément pourquoi pour les premiers chrétiens, abandonner l’Eucharistie dominicale ou abandonner l’Église revenait strictement au même – mépriser l’appel de Dieu à partager ce festin où il est la fois Maître, serviteur et Don.

Que pourrions-nous lui rendre ? Rien d’équivalent. Un pauvre devenu riche pourrait rendre à son ancien bienfaiteur, mais l’homme comment rendrait-il à Dieu cette vie de charité qu’il reçoit ? On ne peut que demeurer dans une humble reconnaissance. Si l’Eucharistie est l’action de grâce, alors elle doit transformer toute notre existence en cette humble action de grâce nourrie par l’infinie libéralité de Dieu.

Nous comprenons mieux alors le premier des enseignements du Christ. Quand tu es invité à des noces, ne va pas te mettre à la première place. Quelle idée de se mettre à la première place dans la salle des noces quand on n’est qu’un invité ! Il y a quand même l’époux d’abord, la jeune mariée, leurs familles. Personne ne commettrait un impair pareil ! Pourtant dans notre vie spirituelle, et dans notre vie ecclésiale nous le faisons bien souvent. Qu’est-ce qui me ferait plaisir ? Qu’est-ce que j’aimerais trouver dans mon Église ? Comment les autres fidèles doivent-ils répondre à mes attentes ? Mon ami, il te faudra céder ta place à celui qui est maître de maison et l’Époux de l’Église. Demandons-nous plus souvent ce qui ferait plaisir à lui ; ce que lui aimerait trouver dans son Église, car c’est lui, non pas nous, qui est la source de cette vie divine que chaque Eucharistie entretient dans son Corps mystique. C’est là que nous trouverons la voie menant plus haut, en nous faisant nous oublier nous-mêmes. Mon ami, avance plus haut. Mets-toi au service de ton Dieu, de tes proches, de ton propre destin de sainteté, cesse de te prendre pour le centre de monde, applique-toi à élever les autres, Dieu premier servi, et le Seigneur t’élèvera.

Que le Seigneur nous donne de goûter à la beauté, à la bonté, à la majesté de ce sacrement que nous sommes en train de célébrer ! Que cette Eucharistie transforme toute notre vie en action de grâce, maintenant et pour les siècles des siècles.

fr. Pavel Syssoev, op

Frère Pavel Syssoev

Frère Pavel Syssoev