A la rencontre de Dieu présent – fr. Benoit-Marie o.p.
A la rencontre de Dieu présent
4°dim Avent, année C
« Comment ai-je ce bonheur… ». Frères et sœurs, dans quelques jours, vous allez pouvoir laisser sortir la joie qui n’a cessé de grandir en vous tout au long de cet avent et que, j’en suis sûr, vous contenez difficilement ! Cette joie, ce sera bien celle qui transparait dans l’exclamation d’Elisabeth, puisque nous sommes en face du même mystère : le Verbe, plus précisément Dieu le Verbe, s’est fait chair.
Sauf que, et la comparaison avec nous risque de s’arrêter là, chez Elisabeth, la surprise est totale. Elle ne s’y attendait pas ! Pour nous, Noël cela ne sera pas une première fois. Et, reconnaissons-le, la répétition tue la surprise. Or, une joie qui ne nous prend pas par surprise, ne peut pas nous emporter ! C’est toute la différence qu’il y a entre, être saisi par la joie, et, se réjouir.
La répétition tue la surprise… à moins que ce ne soit la surprise elle-même qui nous fasse nous répéter. Par exemple, devant quelque chose de véritablement inattendu et imprévisible, on reste bouche bée, on n’arrive pas à y croire, et on répète… comme pour mieux se convaincre que c’est vraiment arrivé, qu’on n’a pas rêvé.
Or, précisément, Noël, c’est la surprise absolue. Relisez Qohélet : il n’y a rien de nouveau sous le soleil… sauf une chose dont il ne parle pas, et pour cause : le mystère de l’incarnation. C’est la nouveauté à l’état pur. Quelque chose d’unique et d’inimaginable. La preuve : malgré l’annonce des prophètes, il n’y a guère que la Vierge Marie pour y croire. En d’autres termes, c’est un mystère qui dépasse toute compréhension. A condition, évidemment, que, comme la Vierge Marie justement, on regarde ces choses dans la foi ! C’est-à-dire, du point de vue de Dieu et non du nôtre. Nous, nous sommes flattés de voir le Seigneur ambitionner d’être l’un des nôtres ! Mais, pour Dieu, s’incarner quel intérêt ? En vérité, cela n’a aucun sens. N’oubliez pas avec quel soin, Yahvé, dans l’Ancien Testament, a éduqué son peuple à la crainte ; en l’avertissant : personne ne peut Me voir sans mourir.
Or, le Seigneur est le même : hier, aujourd’hui et demain. C’est-à-dire qu’il est toujours ce Dieu Trois fois saint que, même les anges, adorent en tremblant.
Bref, si Dieu s’incarne, ce n’est pas pour Lui. Et d’ailleurs, cela ne lui apporte, rien, cela ne lui enlève rien, puisqu’il reste Dieu, comme l’enseigne le concile de Tolède : « Cet enfantement de la Vierge, la raison ne peut le comprendre ; aucun exemple ne l’éclaire. Si la raison le comprend, il n’est pas admirable ; si des exemples l’éclairent, il ne sera plus particulier. (…) Dans cette conception admirable, la Sagesse s’étant bâti une demeure, « le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous » [Jn 1, 14]. Cependant, ce Verbe ne s’est pas transformé ni changé dans la chair, en sorte que celui qui voulait être homme cessât d’être Dieu ».
Alors, il faut nous rendre à l’évidence. Comme nous le répétons chaque dimanche : c’est, pour nous les hommes et pour notre salut, qu’Il a pris chair de la vierge Marie et s’est fait homme. Encore faut-il bien comprendre ce que cela veut dire exactement. S’il s’agit de nous venir en aide, Dieu peut très bien le faire sans avoir besoin de se déplacer. Rappelez-vous les paroles du centurion dans l’Evangile : « Seigneur, je ne suis pas digne que tu viennes sous mon toit, mais dis seulement une parole et mon fils sera guéri… » (Mat. 8,5). D’autre part, Dieu s’est fait nouveau-né, preuve, s’il en faut, qu’Il ne vient pas, d’abord, pour faire quelque chose ; mais, pour nous montrer la profondeur et l’étendue de son amour, de la façon la plus claire, la plus concrète, la plus indubitable qui soit ! Et l’amour désire la communion. Alors Dieu vient nous chercher, même dans un coin perdu de la terre, là où personne ne veut venir !
Précisons encore un peu mieux. Il ne faut surtout pas imaginer que si Dieu vient, cela signifie qu’auparavant Il était loin de nous. Réfléchissez : Dieu le Père ne nous aimait pas moins avant le jour où son Fils Unique s’est incarné. Par conséquent, Il est avec nous, avant Noël, pendant Noël et après Noël de la même façon. Tout simplement parce qu’Il ne peut pas l’être plus. Le changement, il est de notre côté, et il a lieu dans la mesure même où nous nous ouvrons à cette présence. Reste, c’est vrai, que sans son aide nous en serions incapables. C’est sans doute pour cela que, lorsque nous nous rapprochons de Dieu ; nous pensons que c’est Lui qui vient à nous ! Comme s’il pouvait s’éloigner de nous, un seul instant !
Ainsi donc, à Noël, nous contemplons un enfant et, dans la foi, nous voyons le Cœur de Dieu, peut-être pour la première fois. Un peu comme, toutes proportions gardées, en recevant un cadeau on découvre l’amour qui l’inspire. Sauf qu’ici, ce que Dieu a fait pour nous est complétement fou, et pourtant ce n’est rien encore comparé à la folie, la profondeur et l’intensité de l’Amour que, de toute éternité, notre Père du Ciel éprouve pour nous. Impossible, pour qui l’entrevoit, de ne pas être saisi de vertige et de retourner à la banalité de sa vie antérieure… Alors on répète, on répète, sans fin…Noël, Noël… dans un étonnement qui ne finira rigoureusement jamais !
Comment, dans ces conditions, pouvons-nous encore douter ! C’est que, me direz-vous, lorsque Dieu n’intervient pas, et cela nous semble fréquent, tant les miracles sont rares, nous avons très vite le sentiment qu’Il nous abandonne.
Ce qui est vrai c’est que cette présence de Dieu, c’est une présence dans l’amour. De sorte qu’il s’agit d’aimer l’Amour et pas seulement d’aimer Dieu. Et puis, si cet Amour s’imposait à tous, il n’y aurait plus de place pour les hésitations, les atermoiements, les retournements. Il faudrait d’un seul coup, ou bien se rendre sans condition, ou bien, au contraire se révolter pour toujours. Bref, ce serait l’apocalypse. Sommes-nous prêts à cela ?
Alors, Dieu est patient, voilà pourquoi sa présence se fait discrète. Et pourtant, l’amour qu’Il a manifesté à Noël, est toujours là ! C’est simple, Il ne peut pas se refroidir. Que faudra-t-il que Dieu fasse, pour que nous ne l’oublions jamais, quelles que soient les circonstances ou les situations, dans lesquelles nous nous trouvions !
Puisse cette fête de Noël, chasser définitivement en nous tout doute.
Lise Delbès-Lyon, juive française miraculeusement rescapée du camp de la mort d’Auschwitz, a pu dire : « Je vois l’endroit du camp où j’ai entendu la voix de Dieu me dire : « Tu es au plus bas de la détresse et tu vas me dire que tu me préfères, et tu vas me dire que tu ne doutes pas de moi » Et j’entends encore Dieu me dire cela, et moi dire : « Eh bien, je ne doute pas de vous, mon Dieu, je ne doute pas de votre innocence, je ne doute pas de votre amour ». Ceci, en même temps qu’elle y rencontrait l’enfer : « Là-bas, écrit-elle, Dieu me tenait dans ses bras. Mais, la nuit, dans mes cauchemars, je suis seule avec le poids de cette connaissance infernale. Ce n’était pas une seconde supportable, c’était le mauvais montrant son visage Ces yeux du démon, ces regards glacés, je ne pourrais pas les regarder une seconde fois. J’ai connu l’Enfer sans désespérer de la bonté, sans désespérer de l’innocence de Dieu, c’est un miracle »1.
Face à la douceur, on serait tenté de dire l’humilité extraordinaire, avec laquelle Dieu nous propose son amour, il y a place, c’est vrai, pour la dureté glaciale du cœur qui se ferme. Mais, pourquoi douter du cœur de Dieu !
Puisse, enfin, cette fête de Noël être l’occasion pour chacun d’entre nous d’ouvrir un peu plus son cœur à la présence, cachée mais bien réelle, de Dieu le Père. Alors, en plus de la certitude que Dieu est avec nous, nous connaîtrons la joie de vivre en sa présence.
En vérité, comme Marie, heureux seront nous d’avoir cru à l’accomplissement des paroles de Dieu.