Avec les martyrs d’Ouganda

Concentrons-nous aujourd’hui sur un seul verset, entendu tout à l’heure, extrait de la 2ème épître de Pierre. Le voici : « De la sorte nous sont accordés les dons promis, si précieux et si grands, pour que, par eux, vous deveniez participants de la nature divine, et que vous échappiez à la dégradation produite dans le monde par la convoitise. » (2 P 1, 4). Cet unique verset est capital dans l’histoire de la théologie, mais il se trouve qu’il convient aussi parfaitement pour la mémoire d’aujourd’hui, celle de S. Charles Lwanga et de ses compagnons martyrs. L’Esprit-Saint sait ce qu’il fait.
La 1ère partie du verset est la définition canonique de la grâce retenue dans la tradition issue de saint Thomas d’Aquin. La grâce est ce « don promis » par lequel chaque homme devient « participant de la nature divine ». C’est prodigieux ! Je suis une créature limitée, et je suis pécheur, et pourtant je suis élevé par la grâce jusqu’à participer de la vie même de Dieu. Par la grâce, j’apprends la « vraie connaissance de Dieu et de Jésus notre Seigneur » (2 P 1, 2). Et parce que, par la grâce, je connais vraiment Dieu, je deviens capable de vivre comme lui. Je ne deviens pas un autre Dieu, ce serait contradictoire. Mais dès ici-bas je suis transformé. Mon être, mon agir, tout ce que je suis et tout ce que je fais est transfiguré. En proportion exacte de mon ouverture à la grâce, je vis comme Dieu, j’agis comme Dieu, et j’entre déjà dans l’éternité. Et parce que Dieu est amour, tout cet agir divinisé culmine dans l’amour. Connaître et aimer Dieu comme Dieu se connaît et s’aime, connaître et aimer toute personne et toute chose comme Dieu connaît et aime toute personne et toute chose, c’est le sommet de la vie de la grâce. Tout le reste en découle, qui s’appelle la sainteté.
Ce qui nous amène à la 2ème partie du verset. Le don de la grâce est promis afin que nous échappions « à la dégradation produite dans le monde par la convoitise. » (2 P 1, 4) C’est très profond. Ça signifie que la convoitise et l’orgueil qui président à tout péché depuis Adam et Ève dégradent l’homme et le monde. On dit que le péché offense Dieu, et c’est vrai d’une certaine manière. Mais le péché ne détruit rien en Dieu, n’affecte pas ce qu’il est, ne ruine pas son bonheur. C’est l’homme, et le monde que l’homme habite, qui sont dégradés par le péché. C’est l’homme, et le monde dans lequel il vit qui sont détruits par le péché. C’est le bonheur de l’homme et la beauté du monde qui sont détruits par le péché. La grâce se présente alors comme le remède que Dieu a voulu pour en préserver l’homme et le monde.
La grâce est le remède que Dieu nous donne pour que nous échappions « à la dégradation produite dans le monde par la convoitise. » (2 P 1, 4).
C’est très exactement ce qui s’est passé pour Charles Lwanga et ses 21 compagnons martyrs d’Ouganda. Une histoire sainte, peut-être la moins politiquement correcte qu’on puisse imaginer par les temps qui courent. On est en 1886. Depuis leur arrivée en 1879, des missionnaires catholiques et anglicans ont converti au christianisme une partie significative des élites ougandaises. Mais le roi Mwanga est farouchement antichrétien. Par attachement au paganisme ancestral, sans doute. Mais surtout parce qu’il est à la fois homosexuel et pédophile, rôdant dans son palais à la recherche de jeunes adolescents sur lesquels satisfaire ses instincts. Plusieurs fois, les missionnaires l’ont averti sur la gravité de sa conduite. Le chef des pages de la cour, Charles Lwanga, un chrétien, s’efforce de protéger les jeunes pages contre les agressions du roi. Lorsque la pression devient trop grande, il baptise ceux qui ne le sont pas encore. Ayant reçu la grâce sanctifiante, tous refusent de s’offrir aux désirs malsains du roi. Ils sont arrêtés et envoyés au bûcher. En chemin, ils chantent des cantiques et prient le rosaire.
La grâce n’est pas une théorie théologique, trop belle pour être vraie. Elle se constate. Elle rend vraiment « participants de la nature divine » ceux qu’elle vient sanctifier, et leur donne la force pour échapper « à la dégradation produite dans le monde par la convoitise. » (2 P 1, 4). Amen.
fr. Jean-Thomas de Beauregard o.p.
