Celui qui n’est pas contre nous est pour nous

par | 30 septembre 2018

Frère Gilbert Narcisse

« Celui qui n’est pas contre nous est pour nous » dit Jésus. Notre évangile développe cette opposition : contre nous et pour nous. Que veut dire être contre le Christ ou bien pour le Christ et, par conséquent, pour ou contre ceux qui croient en lui.

La remarque des Douze ne manquait pas de pertinence : « il n’est pas de ceux qui nous suivent ». Il ne s’agit pas seulement de ceux qui suivent Jésus mais bien Jésus et les Douze. Les Douze aurait pu dire : il n’est pas de ceux qui te suive, toi, Jésus. Alors, Jésus ne dit pas contre moi, mais contre nous. C’est le mystère du lien qui rattache ou non tout homme au Christ et à son Eglise.

Le pour et le contre sont alors développés par Jésus avec une étonnante radicalité.

D’abord le « pour », être pour nous : faire un vrai miracle, donc avec la puissance de Dieu, entraînera que la parole sera aussi dans cette même puissance de Dieu. Cette parole ne dira jamais rien de mal contre Jésus. C’est déjà un point de vérification.

Ensuite, Jésus considère l’attitude d’une personne vis-à-vis des disciples et là, il suffit d’un seul verre d’eau offert à un disciple pour être « avec nous ». Quand on y pense, c’est peu de chose, même si Jésus précise qu’il faut que ce verre d’eau soit au nom de votre appartenance au Christ. Un seul verre d’eau suffit ainsi à passer du bon côté.

Mais le ton de Jésus devient beaucoup plus sévère quand il développe le « contre nous » : « celui qui est un scandale pour un seul de ces petits qui croient en moi, qu’on le jette à la mer, avec une meule autour du coup ! » En fait, Jésus ne demande pas que l’on fasse cela mais il compare : mieux vaudrait qu’on le jette à la mer. Ce fauteur de scandale se jette lui-même à la mer pour se noyer car il est déjà mort. Il est déjà mort car il véhicule la mort. C’est le scandale ou l’occasion de chute.

Le scandale dont parle Jésus n’a pas le sens médiatique d’aujourd’hui. C’est toute action qui entraîne autrui dans le mal. Non seulement qui lui fait du mal, en soi c’est déjà un scandale, mais qui le conduit à faire lui-même le mal et donc à le séparer du Christ. Charles Péguy disait que le scandale de la misère, ce n’est pas d’abord que des riches rendent le prochain pauvre mais c’est que le miséreux est aussi rendu mauvais, incapable d’une vie digne et encore moins d’une relation à Dieu. Rendre l’autre méchant, voilà le scandale.

Notez bien la radicalité du propos de Jésus : il s’agit des petits et même d’un seul de ces petits, ces petits qui croient en moi ou qui auraient pu croire en lui si la méchanceté ou la malice de l’homme ne les avaient pas pervertis. Le Mal, comme le Diable, est une sorte de vide spirituel qui ne se rassure qu’en augmentant le vide autour de soi : Je suis méchant, pervers et odieux, mais ce n’est pas grave si les autres le sont aussi et je vais vous le montrer, et, au besoin, je les transformerai moi-même. Ainsi, je ne serais plus seul dans ce vide sans humanité et sans Dieu.

Ce scandale, qui propage le péché pour rassurer le pécheur, qui concerne aussi bien les vérités sur l’homme et les vérités de la foi, que tous les domaines pratiques de la vie humaine, inoculant le mal comme un frelon asiatique empêche l’abeille de faire son miel, ce scandale, on comprend qu’il irrite au plus haut point Jésus. Car ce scandale crée une incapacité au divin, une incapacité à rejoindre le Christ, une sorte d’anti-grâce, un vrai poison de la vie surnaturelle.

Alors Jésus insiste et le radicalisme s’approfondit : ta main, ton pied, ton œil,  s’ils doivent devenir des occasions de chute, il vaut mieux t’en séparer si tu veux entrer dans la vie éternelle et non pas dans la mort éternelle.

Ta main : ce que tu fais de mal, par action ou par omission ; ton pied : là où tu vas et où un chrétien ne devrait pas aller ; ton œil, au moins un des deux, qui devient ce mauvais œil, comme on disait autrefois, capable de toute les méchancetés, seulement en regardant l’autre de travers.

Jésus nous invite à une conversion radicale, une sorte de mort à soi même afin que le péché ne soit pas, en nous et autour de nous, le plus fort. Etre manchot, estropié, borne, c’est effrayant, mais c’est au fond le contraire s’il s’agit d’enlever en soi ce qui est source de péché.

Quand le Christ meurt sur la Croix, lui, il perd tout : ses deux mains clouées ; ses deux pieds cloués ; ses deux yeux qui se ferment. Mais son cœur déverse sur le monde, malgré la méchanceté scandaleuse des hommes, et trop souvent des croyants eux-mêmes, un fleuve d’eau vive qui finira bien par noyer tous les scandales de notre monde.

Fr. Gilbert Narcisse, op

Frère Gilbert Narcisse

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