C’est chez toi que je veux célébrer la Pâque !

par | 9 avril 2020

Frère David Perrin

Qui oserait dire, frères et sœurs, que vous n’êtes pas avec nous ce soir ? que nous ne sommes pas unis, laïcs et prêtres, dans une seule et même célébration ? Qui oserait dire que le peuple de Dieu est absent, que les chrétiens ne se sont pas rassemblés pour la Pâque ?

Chaque poste radio allumé, chaque ordinateur connecté est comme une fenêtre qui s’ouvre dans notre église. La chambre ou le salon dans lequel vous vous tenez vient comme prolonger ce sanctuaire et repousser ses murs. Notre église, ce soir, s’est considérablement élargie. Elle a de nouveaux bancs bien remplis ! Vous voilà au premier rang, attentifs à la Parole du Seigneur, désireux de prier et de participer à l’eucharistie que nous allons célébrer maintenant.

Vos maisons, qui sont comme les antichambres de cette église, sont à l’image de la maison où Jésus et ses disciples se sont réunis pour manger la Pâque. Ce n’est pas, en effet, dans le Temple ou dans une synagogue, que le Christ a voulu vivre son dernier repas, mais à l’étage d’une maison, semblable à la vôtre, dans « une grande pièce », nous dit saint Marc, « garnie de coussins » (Mc 14, 15). La table sur laquelle il a rompu le pain, le verre dans lequel il a versé le vin, les coussins sur lesquels ses disciples et lui se sont assis, les plats qu’ils ont mangés, ne sont pas si différents des vôtres. Nul doute que les paroles de la consécration, qui ont été prononcées pour la première fois dans une maison, résonneront d’une manière toute particulière dans vos maisons. N’ayez pas peur de dire comme Pierre au Thabor : « Seigneur, il est heureux que nous soyons ici ! » (Mt 17, 1) Car les effets de cette messe s’appliqueront à domicile, jusque dans vos âmes.

Mais pour cela, il faut que vous ouvriez votre cœur et que notre église soit le lieu où vos prières nous parviennent et se rejoignent. Ouvrez bien grand vos fenêtres, frères et sœurs, pour laisser entrer les anges du Seigneur. Confiez-leur vos prières, les désirs profonds de vos cœurs, vos inquiétudes, vos peines, vos joies et vos intentions pour vous et pour le monde. Ils viendront les déposer ici-même au pied de cet autel. Vos prières, alors, s’uniront aux nôtres et nous les ferons monter, comme l’encens, devant l’hostie et la coupe du salut.

En faisant cela, vous ne suivez pas la messe, de loin. Non, vous la vivez, de près, vous participez, réellement, activement, à la sainte Cène. Alors, sans plus tarder, « offrez vos personnes en hostie vivante, sainte, agréable à Dieu car c’est là le culte spirituel que vous avez à rendre » (Rm 12, 1). Le sacrifice que nous offrons, ce soir, est celui de toute l’Église, celui du peuple de Dieu réuni, celui du Christ total : tête et corps. L’Église sainte de Dieu, comme une seule personne mystique, est assemblée, en cette heure, dans un sanctuaire qui n’est plus fait de main d’hommes, pour faire mémoire de la Cène et nous unir à elle, par-delà les siècles. Plus que jamais le lien, indestructible, de la charité, qui transcende le temps et l’espace, nous unit dans la célébration des saints mystères.

Et si nous seuls, les prêtres, pourront consommer ce soir le sacrifice, manger la chair et boire le sang qui enlève le péché du monde, vous pourrez, par la grâce de Dieu, agissant dans vos cœurs, bénéficier des effets de la Cène ainsi célébrée. Croyez-le, frères et sœurs. Posez cet acte de foi ! Le Seigneur vient chez vous ce soir. Il vient au cœur de vos maisons, jusque dans vos salons, pour vous rejoindre. Dieu veut demeurer chez vous et vous faire goûter sa présence. Il veut joindre son esprit à votre esprit : « Voici, je me tiens à la porte et je frappe ; si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui pour souper, moi près de lui et lui près de moi. » (Ap 3, 20). Ouvrez les portes de vos cœurs. À chacun de vous, le Christ adresse cette parole : « C’est chez toi que je veux célébrer la Pâque. » (Mt 26, 18)

Mais pour que cette pâque soit célébrée chez vous, il est un acte que vous devez répéter, un acte que vous devez faire, ce soir, et refaire, inlassablement, tous les jours de votre vie, malgré les tensions, les disputes, les agacements, les colères, les reproches, les jalousies, les méfiances, les regrets : vous aimer les uns les autres, comme le Christ vous a aimés, en vous livrant tout entier pour ceux que vous aimez, en donnant votre sang pour eux, jusqu’à la dernière goutte. Aimer à en mourir. Tel est le sens du geste que le Christ a fait au cours de son dernier repas.

En lavant les pieds de ses disciples, il nous a dévoilé le sens de sa mission sur la terre et de la passion qu’il allait vivre. C’est pour nous que le Père l’a envoyé, pour nous qu’il a vécu notre condition d’homme, pour nous qu’il donne, ce soir, son corps et son sang en signe de l’Alliance nouvelle, pour nous qu’il va pleurer à Gethsémani, pour nous qu’il va être arrêté, cette nuit, et conduit en prison, pour nous qu’il sera demain jugé, flagellé et crucifié. Tout cela, il le fait pour nous servir et nous offrir la vie éternelle.

Si nous voulons le suivre et devenir ses disciples, osons donc servir ceux que nous aimons et ceux que nous n’aimions pas jusqu’à présent. Osons faire de nouveau un pas, au moins dans notre cœur, le pas du pardon, vers celui qui, dans notre famille, parmi nos amis, dans notre travail, dans notre communauté, nous a blessés. Ne laissons pas la haine et le ressentiment, ce soir, tourmenter nos âmes et entrer en elles, comme Satan dans Judas. Ne sortons pas, en vain, comme Pierre nos épées. Rengainons nos armes, enterrons la hache de guerre, renonçons à nous venger, et devenons, comme le Christ, les serviteurs les uns des autres, autant que nous le pouvons, autant que l’autre nous le permet. « À ceci tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples : si vous avez de l’amour les uns pour les autres. » (Jn 13, 35) Aimons-nous les uns les autres, frères et sœurs, à la manière du Christ qui, aujourd’hui, entre dans sa passion, pour nous les hommes. C’est alors que s’accomplira, chez vous, chez nous, la Pâque du Seigneur.

Frère David Perrin

Frère David Perrin