« Chrétien, regarde la croix et contemple ton roi ! »

par | 20 novembre 2022

Frère David Perrin

Pourquoi, Seigneur, n’es-tu pas descendu de la croix ? Pourquoi n’as-tu rien fait ce jour-là pour te défendre ? Tous avaient les yeux fixés sur toi. Cachés dans la foule ou derrière un muret, le poing crispé, les dents serrées, tes disciples murmuraient : « Descends, Rabbi ! Maintenant ! Montre-leur, enfin, qui tu es. Fais-le pour nous, pour ta mère, pour ton peuple Israël, pour tous les justes de la terre. S’il te plaît, descends ! » Jusqu’au bout, ils ont pensé que tu t’arracherais de la croix. Ils s’imaginaient que tu attendrais sans doute le tout dernier instant pour faire éclater ta puissance et manifester, enfin, ta gloire ! Mais tu as poussé ton dernier souffle et il ne s’est rien passé. Rien. Tu n’as RIEN fait. Tu t’es laissé faire comme le plus faible et le plus misérable des hommes, toi, le Tout-Puissant !
Ta Résurrection, bien sûr, a changé beaucoup de choses mais elle n’a pas empêché, depuis deux mille ans, la répétition de ta Passion dans tes fidèles. Ceux qui croient en toi continuent de souffrir injures, moqueries, injustices, de la part des méchants. Nous-mêmes, chrétiens, nous ne sommes pas toujours dignes du nom que nous portons et nous ne nous conduisons pas toujours mieux que les autres. Au sein même de ton Église, des loups se déguisent en agneaux ou en bergers. Depuis deux mille ans, nous butons contre le mystère du mal et de la souffrance, comme des gens qui se frappent la tête contre un mur. Que faire ? Que dire, Seigneur, à celle qui vient de perdre son époux ? à l’enfant qui grandit sans père ? à la personne trahie et blessée à jamais ? à celui qui n’arrive pas à pardonner ? à tous ceux qui me demandent : « Il est où ton Dieu ? ». Quand, Seigneur, descendras-tu pour régner sur la terre ? Pour faire, enfin, la vérité, établir la justice, justifier ton titre de Roi et de Sauveur ?
Je parlais ainsi au Seigneur, frères et sœurs, comme Job au jour de malheur, comme David au temps de la persécution, comme les disciples, et comme vous, sans doute, quand les desseins de notre Dieu, soudain, deviennent incompréhensibles, quand sa Providence nous paraît cruelle, quand nos prières semblent inutiles. La douleur, bien sûr, nous égare et nous aveugle. Elle nous fait dire des choses folles, car, enfin, le bon Dieu est bon ! Et puis, que savons-nous des voies de Dieu ? Du bien qu’il tire mystérieusement du mal permis ?
Dieu sait que nous ne savons rien ou presque rien de tout cela. C’est pourquoi il ne nous en veut pas de lui parler parfois de la sorte. Il nous laisse pleurer et crier. Comme un père qui attend que son enfant se fatigue d’avoir pleuré, il attend que nous nous fatiguions de notre peine et que nous soyons prêts… Prêts à lever, de nouveau, les yeux sur lui et à le voir tel qu’il fut en vérité, c’est-à-dire CRUCIFIÉ !
Nous avions presque oublié, dans notre douleur, que ce Dieu à qui nous adressions nos plaintes et nos reproches, n’était pas comme ces rois retranchés dans leurs palais, comme ces puissants confortablement assis sur leurs trônes, qui ignorent tout de la vie de leur peuple. Celui à qui nous crions notre détresse et qui nous regarde est cloué à une croix. La couronne qui ceint son front n’est pas d’or mais d’épines ! Tout ce que ce roi a subi, il l’a subi par amour, pour chacun d’entre nous. Fallait-il, Seigneur, que nos âmes soient si précieuses que vous ayez voulu les racheter une à une par chaque goutte de votre sang ? Nous vous pensions passif sur la croix, alors que vous n’avez jamais autant œuvré pour nous qu’à ce moment-là. Nous vous pensions esclave, alors que, jamais, vous ne fûtes autant roi ; vos bras étendus rassemblant l’humanité tout entière, vous qui donniez votre vie pour vos sujets. Nous vous pensions soumis, quand vous ne fûtes jamais aussi libre et maître de votre vie.
Chrétien qui pleure, chrétien qui te plaint, chrétien qui désespère, regarde la croix et contemple ton roi ! Prosterne-toi devant celui qui donne à ton âme la force et le salut. Car c’est bien ton âme qu’il vient sauver sur la croix. Ton Dieu est venu dans ta chair. Il est allé jusqu’à souffrir le supplice de la croix, signe de son amour infini pour toi, pour purifier ton cœur à sa source et clouer sur le bois ton péché, qui est le plus terrible des maux, celui qui te soustrait à la vie même de Dieu, celui qui te détruit de l’intérieur et te conduit à la mort. Que sont les maux extérieurs face à ce mal intérieur qui te coupe de Dieu et de toi-même ? Le roi cloué a combattu pour toi, pour te réconcilier avec Dieu, pour te rendre ta liberté et te donner cette force intérieure qui te rend capable désormais de traverser avec lui toutes les épreuves de cette vie.
Tu as le choix, chrétien, d’être aujourd’hui l’un ou l’autre larron. De demeurer accroché au péché qui te crucifie et d’accuser l’Innocent qui est à tes côtés, en se moquant de son apparente impuissance. Ou bien de craindre Dieu, de demander pardon pour tes fautes passées et présentes et de l’implorer de se souvenir de toi, quand il viendra dans son Royaume. Si tu fais cela, si tu crois que cet homme crucifié est le messie de Dieu, le Roi de l’univers, tu l’entendras alors te dire au fond de ton cœur, au creux de ton oreille : « Amen, je te le dis : aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le Paradis. »

Frère David Perrin

Frère David Perrin