De la scène à la Cène – Jeudi Saint

par | 6 avril 2023

Frère Romaric Morin

Si quelque étranger à la foi et à la religion pénétrait maintenant dans cette église, que pourrait-il bien penser ? Difficile à dire, mais peut-être aurait-il tout simplement l’impression d’être au théâtre ce soir. Et pour cause ! Notre célébration a bel bien quelque chose de théâtral. Surtout en ce soir où la liturgie est particulièrement déployée.

En effet, à la messe comme au théâtre, nous avons une scène (le chœur) avec un décor (le retable) et des coulisses (la sacristie). A la messe comme au théâtre, nous avons des acteurs (les prêtres, diacres, lecteurs, chanteurs, musiciens et autres servants de messe) avec leur costume (les ornements liturgiques), et un texte à déclamer (la Parole de Dieu et les prières liturgiques). A la messe comme au théâtre nous avons des règles à respecter (les rubriques liturgiques). A la messe comme au théâtre, nous avons un parterre (la nef) avec un public plus ou moins nombreux, plus ou moins fidèle et plus ou moins ponctuel (plutôt plus au théâtre et plutôt moins à la messe). Enfin, à la messe comme au théâtre, nous avons une scène à représenter.

Bien sûr, au-delà de cette apparente similitude, nombreuses sont les différences entre la messe et le théâtre. Outre que l’entrée de l’église est gratuite, à la messe, pas de buvette à l’entracte, et d’ailleurs pas d’entracte non plus. Mais ce ne sont là encore que des différences mineures qui ne touchent pas à l’essentiel de ce qui se joue en l’un et l’autre cas. Plus que ces détails anecdotiques, ce sont surtout deux différences majeures qui distinguent radicalement la messe du théâtre, à savoir le rôle du public d’une part, et le type de représentation d’autre part.

 

Première différence essentielle, le rôle du public. Au théâtre, le public est un public de spectateurs qui sont là pour écouter et regarder le jeu des acteurs. Les spectateurs sont passifs. Même s’ils réagissent à ce jeu, ils n’interagissent pas à proprement parler avec les acteurs. Ils ne participent pas à la pièce de théâtre, tels les acteurs eux-mêmes. Si bien que peu importe que le public soit là ou non, physiquement présent ou non. Que le public soit dans la salle ou derrière un écran de télévision ne change pas grand-chose en soi à la pièce.

A la messe, il en va tout autrement. Car, pour le coup, le public (les fidèles) n’est pas un public de simples spectateurs passifs, qui se contentent d’écouter et de regarder ce qui se passe sur la scène. Les fidèles font partie de la représentation. Ils en font activement partie. Ils sont eux aussi, à leur manière, acteurs de l’action liturgique. Si la messe est principalement l’action du prêtre qui représente le Christ, elle est plus largement l’action de l’Église toute entière que représente certes le prêtre mais aussi l’assemblée présente. La messe est une action ecclésiale qui implique tous ceux qui y assistent. C’est l’Église, toute l’Église, prêtre et fidèles, qui célèbre le Christ ressuscité présent au milieu d’elle.

Il en résulte que la présence de fidèles n’est pas accessoire ni accidentelle à la célébration de la messe. Elle en fait partie. D’où l’importance de la forme dialoguée, à certains moments, entre le prêtre et les fidèles. D’où l’importance également pour les fidèles de participer activement, i.e. d’écouter attentivement les paroles prononcées et d’y répondre en joignant leur prière, leur voix et leurs gestes à l’action liturgique commune. D’où l’importance enfin que tous, prêtre et fidèles, s’unissent ensemble à l’action liturgique majeure de la messe qui est de communier. A la différence de la pièce de théâtre, ce n’est pas pareil de participer à la messe dans une église ou derrière un écran de télévision.

Seconde différence essentielle, le type de représentation. Au théâtre, la représentation est une simple figuration. Les acteurs jouent une scène sans être pour autant réellement les personnages qu’ils jouent. Leur jeu n’est que simulation. Il est bien entendu que la pièce de théâtre, quand bien même elle met en scène un épisode réel, n’est pas cet épisode réel lui-même. Elle est seulement une manière de le relater, de le raconter, de le figurer, de le représenter, de le mettre en scène.

A la messe, il en va tout autrement. Car, pour le coup, la représentation dont il est question à la messe n’est pas une simple figuration destinée à faire mémoire d’un événement passé dont nous nous contenterions de nous souvenir. La messe est la représentation de la dernière cène du Christ, qui représente cette dernière cène au sens où elle la rend présente. Elle la rend réellement présente et non pas seulement fictivement (comme la pièce de théâtre). A la messe, nous ne rejouons pas mais revivons la cène et avec elle le sacrifice du Christ sur la croix.

Nous le percevons particulièrement bien ce soir où nous représentons deux gestes que le Christ a accomplis lors de cette dernière cène, le lavement des pieds et l’institution de l’eucharistie. Sauf que justement nous ne les représentons pas de la même façon, avec la même portée, la même signification. Lorsque nous représentons le lavement des pieds, nous ne faisons qu’imiter le Christ, suivre son exemple. C’est là une simple figuration. Mais lorsque nous représentons l’offrande et le partage de son corps et de son sang, plus qu’une figuration, nous rendons présents ce corps et ce sang. Réellement présents.

Ainsi au-delà des apparences et des similitudes, la messe n’est pas du théâtre ni encore moins un jeu. Car, pour reprendre une parole du Christ à s. Angèle de Foligno, ce n’est pas pour rire que je t’ai aimée. Amen.

Frère Romaric Morin

Frère Romaric Morin