Dieu qui nous ressuscite

par | 29 mars 2020

Avatar

Une petite fille, d’abord. Elle vient de mourir mais Jésus, malgré l’agitation et les moqueries, s’approche du lit où le corps de l’enfant est étendu et lui dit : « Talitha koum, ce qui signifie : jeune fille, je te le dis, lève-toi ! Aussitôt la jeune fille se leva et se mit à marcher » (Mc 5, 41-42). Un jeune homme ensuite, fils d’une veuve de Naïm. Déjà l’on emportait son corps pour le mettre en terre. « Jésus s’approcha et toucha le cercueil ; les porteurs s’arrêtèrent, et Jésus dit : Jeune homme, je te l’ordonne, lève-toi. Alors le mort se redressa et se mit à parler » (Lc 7, 14-15). Lazare, enfin, son ami enfermé dans un tombeau. « Jésus cria d’une voix forte : Lazare, viens dehors ! Et le mort sortit, les pieds et les mains liés par des bandelettes, le visage enveloppé d’un suaire » (Jn 11, 43-44).

Le Christ se présente comme le Seigneur de la vie : « En lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes » (Jn 1, 14). Sa majesté conduit et accompagne les événements de notre existence, les plus joyeux comme les plus sombres, pour nous attirer à lui. Par sa parole royale, il accomplit les prophéties anciennes : « Je vais ouvrir vos tombeaux et je vous en ferai remonter, ô mon peuple … Je mettrai en vous mon esprit, et vous vivrez » (Ez 37). A ces promesses, il confère une nouveauté radicale, impossible à prévoir : il ne s’agit pas seulement du retour de l’exil à Babylone, ni seulement d’images ou de métaphores, mais d’une espérance à prendre au pied de la lettre. Le tombeau s’ouvre et, à l’appel du Maître, celui qui en était le prisonnier depuis quatre jours déjà, est rendu à la vie et sort au plein jour.

Sans doute fallait-il ces trois résurrections de plus en plus extraordinaires pour ébranler les certitudes encombrantes de notre incrédulité et nous acculer à l’acte de foi que Jésus demande : « Moi, je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra ; quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. Crois-tu cela ? » (Jn 11, 25-26).

Ces résurrections sont pour nous des signes, et c’est en cela qu’elles nous intéressent. En chacune d’elles, la demande angoissée de Jaïre pour sa fille, la détresse de la veuve, les supplications instantes et le chagrin des sœurs de Lazare traduisent la détresse et l’impuissance de notre condition humaine devant le mystère de la mort. Jésus laisse couler ses larmes, marque de l’immense compassion du Sauveur pour ceux qu’il ne craint pas d’appeler « ses frères » et « ses amis ».

Ces résurrections attestent évidemment de la puissance vivifiante de Jésus, venu dans le monde pour que nous ayons la vie, et la vie en abondance ; elles sont le signe de sa domination totale sur la mort physique, qui devant Dieu semble un simple sommeil. A proprement parler, elles sont seulement des revivifications : la fille de Jaïre, le fils de la veuve de Naïm et Lazare, parvenus au soir de leur vie terrestre, se sont de nouveau endormis dans la mort. Ces résurrections traduisent donc visiblement une réalité invisible. Et en effet, à l’annonce de la maladie de Lazare, Jésus avait déclaré : « Cette maladie ne conduit pas à la mort, elle est pour la gloire de Dieu. » Deux jours plus tard, sans que cela lui ait été annoncé, c’est lui-même qui apprend la mort de Lazare à ses disciples. Que comprendre ? Jésus ne s’est pas trompé ; il voulait faire comprendre qu’il y a une autre mort, à laquelle Lazare n’était heureusement pas soumis. Une mort autrement plus grave que la seule mort physique, la mort spirituelle liée au péché. Pour cette mort-ci, Jésus a livré bataille, et faisant de la croix son sceptre royal, il donna sa vie pour nous, pour que le prince de ce monde fût vaincu.

Le Christ est le maître de la vie. Cette vie qu’il veut nous offrir ne nous est pas imposée, mais offerte. Il a fallu rouler la pierre devant le tombeau pour permettre au mort d’entendre la parole de vie ; comme il faudra ensuite délier les bandelettes qui l’enserraient pour coopérer avec cette même parole.

En ce temps de confinement, l’évangile de ce jour qui nous invite à dégager l’accès de nos tombeaux pour que retentisse l’appel du Christ, la promesse de résurrection qui nous est faite prennent une tournure réellement prophétique. Nous sommes appelés à la vie, une vie qui n’aura pas de fin : « Et si l’Esprit de celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts habite en (n)ous, celui qui a ressuscité Jésus, le Christ, d’entre les morts donnera aussi la vie à (n)os corps mortels » (Rm 8).

Il s’agit donc profiter de ce temps de confinement pour vivre l’expérience de Lazare. L’épreuve que nous traversons à présent nous dépouille de beaucoup de choses, et nous conduit vers ce qui compte vraiment, vers ce qui est essentiel. La peur ou l’angoisse que nous pouvons éprouver ne doivent pas nous détourner de l’unique nécessaire. La pandémie nous permet de toucher du doigt que nos prouesses techniques et scientifiques ne nous rendent pas immortels et ne nous préservent ni de la maladie ni de la mort. Notre condition humaine ne change pas. Il nous est bon de faire l’expérience de notre faiblesse, de quitter la posture fausse du rêve de la toute-puissance, de découvrir que ni les honneurs, ni les richesses, ni les plaisirs ne nous mettent à l’abri de la fragilité inhérente à notre chair. Nous pouvons peut-être mieux comprendre que la source de la vie n’est pas en nous. L’épreuve du moment est l’occasion de revenir à la source de notre désir de vivre pour découvrir que ce qui pourra le satisfaire n’est pas en nous, ni en ce monde mais en Dieu seulement.

Le Christ est Seigneur de la vie. Il se tient à la porte et nous appelle à venir à sa rencontre pour recevoir de lui la lumière de la vie. Au cours des semaines qui viennent, tandis que se rejouera le grand mystère de Pâques, fixons notre regard sur lui : il monte à Jérusalem pour donner sa vie et nous donner la vie. Oui, il est la résurrection et la vie, nous le croyons.

  1. Guillaume Petit, op

Avatar

Frère dominicain