Je suis encore chrétien, car…

par | 25 février 2019

Frère Sébastien Perdrix

Homélie – 7° dimanche TO – C- année 2019
Il y a des dimanches où un chrétien pourrait se demander : « A quoi bon ? ». « Oui, à quoi bon continuer à prier quand tout semble craquer autour de soi et même dans l’Eglise ? A quoi bon se lever pour aller à la messe quand d’autres profitent d’une grasse matinée ? Pourquoi rester chrétien dans un pays qui ne l’est plus ? Par esprit de contradiction ? C’est un peu court comme raison…Pourquoi devrai-je continuer à croire? »
Il y a des dimanches matins où un chrétien peut avoir des raisons d’avoir le moral et la foi dans les chaussettes. Et puis, soudain, entre deux nuages d’encens, au moment où les derniers retardataires finissent d’arriver, une parole retentit : « Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent. », « Pardonnez, et vous serez pardonnés ». Cette parole prononcée par un homme derrière un micro, une parole pourtant ancienne et familière, en tombant dans l’oreille du chrétien découragé, lui remue l’âme. Il redresse alors la tête et esquissant un sourire, il se dit : « Je sais pourquoi je suis encore chrétien ».
« Je suis encore chrétien… », car voilà une parole neuve et sublime. Jamais homme n’a parlé comme celui qui a prononcé ces mots devant une foule nombreuse, faite de disciples et d’inconnus. Dans ce discours où tous les mots sont pourtant si humains, il y a un quelque chose de radicalement nouveau – un enseignement qui n’avait jamais été délivré et que rien n’égalera par la suite. Il y est pourtant question de morale, de bonnes actions à faire – toutes choses connues. Et pourtant rien de ce qui est dit ne ressemble à la morale des sages, à cette morale équilibrée et mesurée qui est la plus noble expression de la raison humaine. C’est une morale qui se moque de la mesure, une morale qui invite à faire le bien sans mesure. Alors que la raison et le coeur humain me commandent de faire du bien à ceux qui me sont proches et de prendre soin de mes amis, cette parole me pousse à aimer celui qui non seulement ne m’aime pas, mais qui me veut et me fait du mal. « Je me sais incapable de le mettre en pratique, se dit le chrétien, et pourtant, voilà ce que je veux vivre. »
« Je suis encore chrétien… », car cette parole ne m’endort pas avec de pieux mensonges. C’est une parole vraie où le sublime coexiste avec la laideur, où l’amour et le pardon font face à la haine et au péché. Rien de ce qui fait la condition humaine n’y est occulté. Tout est dévoilé : ce qui fait la grandeur de l’homme et ce qui fait sa misère. On est bien loin de la religion « opium du peuple », du conte rassurant pour grands enfants névrosés. L’enseignement du Christ apporte bien une consolation et l’espérance d’un avenir meilleur, mais tout cela ne se fera pas sans passer par le feu qui révèle et purifie les intentions du coeur. « Tu fais ceci ou cela et tu penses en avoir fait assez ? Mais pauvre dupe, même les pêcheurs en font autant ! »
« Je suis encore chrétien… », car cette parole, qui me secoue par sa vérité, ne m’enfonce jamais. Si elle dénonce en moi les germes de mort – l’égoïsme, l’avarice ou le calcul – c’est toujours en vue de me conduire plus haut. « Alors votre récompense sera grande, et vous serez les fils du Très-Haut… » ; « Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux. » Il y a des paroles d’hommes qui me révèlent ma médiocrité et puis qui me laissent à terre, nu et gisant dans ma boue. Si la parole du Christ se penche sur mes infirmités, c’est pour mieux me soigner et me relever. Tout en me montrant mon péché, elle me montre aussi inlassablement la splendeur de ma vocation : devenir fils dans le Fils et miséricordieux comme le Père. Cette parole ne me lapide pas, mais toujours elle m’élève.
Ce matin, je suis peut-être arrivé dans cette église en chrétien abattu. Tout-à-l’heure sur le parvis, si j’ai accueilli l’Evangile pour ce qu’il est – une parole divine et pas simplement une parole humaine, je me dirai certainement : « Comment peut-on ne pas être chrétien ? »

Frère Sébastien Perdrix

Frère Sébastien Perdrix