Jésus sans filtre #nofilter
Savez-vous qu’il existe des applications proposant des filtres pour embellir non seulement vos paysages mais aussi votre frimousse ? Ajoutez tel filtre, et hop !, plus de rides ni de cernes ; tel autre filtre, et hop !, vous perdez 20 ans ou 20 kilos – c’est vous qui voyez… Ca a l’air très beau, dit comme ça, mais ce n’est qu’une illusion. Aujourd’hui, sur le mont Thabor, le Seigneur se livre à l’opération inverse : il se dévoile pour nous conduire à une vérité plus grande. L’espace d’un moment, il se montre sans filtre. Enfin… pas tout à fait sans filtre. En effet, ce que voient les trois apôtres, ce n’est pas la divinité du Seigneur, parce que c’est impossible aux hommes. Saint Paul rappelle à Timothée que Dieu, « aucun homme ne l’a jamais vu, et nul ne peut le voir » (1Tm 6, 16). Dans le miracle de la transfiguration, « la clarté [de la gloire] a dérivé de [l]a divinité et de [l]’âme [de Jésus] sur son corps »[1]. La lumière divine illumine le visage humain du Christ et brille dans les ténèbres (cf. Jn 1, 5). Pourquoi une telle manifestation ?
Répondant à la question du Seigneur : « Pour vous qui suis-je ? », Pierre avait confessé : « Tu es le Christ » (Mc 8, 29), c’est-à-dire le Messie. Encore fallait-il ne pas se méprendre sur la messianité de Jésus pour comprendre les annonces de la Passion. Le salut qu’il est venu réaliser ne se réduit pas à notre horizon immédiat. Ce Messie, Élie et Moïse, donc les Prophètes et la Loi, lui rendent témoignage en apparaissant à ses côtés et en s’entretenant avec lui – et on donnerait cher pour savoir ce qu’ils se disaient dans ce mystérieux colloque ! Ce Messie est, en sa propre personne, l’accomplissement des promesses faites à nos pères, la réalisation du désir de Moïse qui n’avait pu voir que de loin la terre promise (cf. Dt 34, 1-5), l’aboutissement des prophéties d’Élie qui annonçait en figures l’eau vive de la grâce sur notre terre desséchée (cf. 1R 18, 41-45). Il est le signe de la longue fidélité, traversant les siècles et l’histoire, de Dieu qui ne veut pas la mort du pécheur, mais sa conversion et sa vie (cf. Ez 18, 32).
Dieu « qui est riche en miséricorde » (Eph 2, 4) n’a pas suscité un Messie seulement humain. Il « a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique » (Jn 3, 16), lumière née de la lumière. Ce Messie était inimaginable pour l’entendement humain. Ce n’est qu’après coup que les prophéties et les figures deviennent compréhensibles. C’est lui, Jésus, qui donne sens à toute la Révélation et à toutes les Écritures ! C’est lui, Jésus, qui nous permet de comprendre que le sacrifice d’Abraham était une figure du Père qui offre son fils, son unique, celui qu’il aime (cf. Gn 22, 2), une prophétie annonçant aussi « l’agneau pour l’holocauste » (Gn 22, 7) et qui se réalisera sur la croix. C’est lui, Jésus, qui accomplit la promesse faite à Abraham en étant la bénédiction que les nations s’adressent l’une à l’autre (cf. Gn 22, 18) en « réconciliant avec Dieu les uns et les autres en un seul corps par le moyen de la croix » (Eph 2, 16).
C’est pourquoi la voix du Père se fait entendre du sein de la nuée de l’Esprit Saint : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé : écoutez-le ! » (Mc 9, 7). C’est qu’en effet, pour traverser la nuit de la croix, il faut écouter Jésus, ses paroles et la Parole qu’il est lui-même. C’est lui qui donne sens à toutes choses. La croix n’est pas un imprévu, un accident regrettable de l’histoire. Au contraire, d’une manière mystérieuse, elle fait partie de la providence divine. Elle manifeste l’amour plus vaste que l’univers d’un Dieu qui « n’a pas épargné son propre Fils mais l’a livré pour nous tous » (Rm 8, 32). Et si la croix étend ses bras jusque dans notre vie aujourd’hui, ce n’est que l’écoute attentive du Christ qui nous donne de découvrir sa présence même dans les obscures souffrances que nous endurons après lui. C’est la contemplation du visage du Christ qui illumine la totalité de notre existence.
Nos Pères ont reçu le commandement : « Écoute, Israël » (Dt 6, 4). Nous avons reçu, nous, le commandement : « Écoutez-le ! » Il nous faut l’écouter, le chercher inlassablement parce qu’il est le « Fils bien-aimé ». Le Père nous l’a dit lors du baptême au Jourdain (Mc 1, 11) où nous étions invités à découvrir la purification des péchés et notre adoption filiale et ici, dans la transfiguration où l’éclat de la gloire resplendissant sur le visage du Christ nous montre la gloire à laquelle nous sommes appelés. « Ne craignez plus rien. Vous ne devez plus douter de sa toute-puissance, lors même qu’il sera en croix ; ni perdre l’espérance de sa résurrection. Si votre peu de foi vous a fait trembler jusqu’ici, qu’au moins la voix du Père vous rassure. Jésus est non seulement le Fils, mais le Fils bien-aimé de son Père. Puisque le Père aime son Fils que devez-vous craindre »[2], vous qui êtes fils dans le Fils ?
Que la contemplation de son visage illuminé par la gloire nous donne d’aimer la croix et de désirer le ciel, notre vraie tente « non faite de main d’homme » (He 9, 24). Amen
- Guillaume Petit, op
[1] Sum. theol. IIIa, Q. 45, a. 2, co.
[2] Saint Jean Chrysostome, Commentaire sur l’évangile selon saint Matthieu, homélie 56.