La révélation de trop ?  – Solennité de la sainte Trinité

par | 10 juin 2021

Frère David Perrin

Trop haut, trop difficile, trop compliqué ! Le mystère de la sainte Trinité passe au-dessus, très au-dessus de notre tête ! On s’en rend compte dès qu’il s’agit d’en parler. Nous sommes soudain gênés, embarassés par une révélation qui nous dépasse et l’on se surprend à penser :

– « Merci, Seigneur, c’est gentil de nous avoir dévoilé ton mystère, révélé ton secret, mais je n’ai pas, désolé, les épaules pour le porter. Pourquoi ne t’être pas limité au mystère de ton unité ? Un Dieu unique, juste unique, c’est simple à comprendre. Ça peut encore passer dans le monde. Mais un Dieu un en trois personnes c’est, pour nous, de la folie ! Dire que tu existes, que tu nous aimes et que tu veux nous sauver ne suffisait-il pas ? »

Ce à quoi notre ange gardien répondrait :

– « Qu’ont vu, dis-moi, ceux qui ont assisté au baptême de Jésus ? »

– « Ils ont vu Jean le Baptiste, Jésus dans l’eau, les cieux qui s’ouvrent, l’Esprit de Dieu qui descend comme une colombe et une voix, dans les cieux, qui disait : ‘‘Celui-ci est mon Fils bien-aimé, qui a toute ma faveur.’’ »

– « Exactement ! répondrait l’ange. Dans cette seule et même manifestation divine, ils ont fait l’expérience non pas d’une mais de trois réalités distinctes : Jésus remontant de l’eau, une colombe descendant du ciel, et une voix, depuis les cieux, qui désignait Jésus comme son Fils bien-aimé. Cette trinité-là, comme tu peux le constater, n’est pas une élucubration de savants, une construction théologique alambiquée. C’est des faits, des gestes, des paroles révélées ! À propos : qu’a dit Jésus de ses relations ? »

– « Hum… Ses relations, son réseau, je crois qu’il n’en avait pas beaucoup !»

– « Non, je te parle pas de ses relations humaines mais de ses relations divines ! »

– « Ah oui, pardon ! Il a appelé Dieu son Père. Il a dit qu’il était le seul à le connaître vraiment et à pouvoir le faire connaître : ‘‘Nul ne connaît le Père si ce n’est le Fils et celui à qui le Fils veut le révéler. » (Mt 11, 27). Il a dit aussi qu’il était « sorti d’auprès du Père et venu dans le monde », qu’il allait quitter le monde et revenir au Père (Jn 16, 28).

– « Si tu crois, reprit l’ange, ce que Jésus a dit, si tu lui fais confiance, tu remarqueras que Jésus, en tant que Fils, se distingue du Père mais, qu’à la différence des fils humains, il est uni à son Père au point de ne faire qu’un avec lui : « Moi et le Père nous sommes un. » (Jn 10, 30) Aucun homme ne peut dire une chose pareille ! Le fils peut ressembler, très fortement, à son père, être le sosie de son père, quand il avait son âge, mais il ne fait pas un avec lui. Alors que Jésus, lui, dit que le Père et lui sont un. Quand les premiers chrétiens disent que le Père et le Fils sont consubstantiels, ils n’inventent donc rien. Ils ne font qu’exprimer avec leurs mots, à eux, ce que Jésus a dit. »

– « Mais, alors, si Jésus est un avec le Père, tout en étant distinct, cela fait non pas une trinité mais une dualité dans l’unité. Dieu n’est pas trois mais deux en un ! »

– « Souviens-toi, me dit l’ange, des actions-manifestations de l’Esprit. Souviens-toi de la brise légère sur le visage d’Élie, de la descente sous la forme d’une colombe, du violent coup de vent et des langues de feu sur les apôtres à la Pentecôte. Souviens-toi aussi des paroles de Jésus, dans les derniers jours, au sujet de l’Esprit Saint : « Mais quand il viendra, lui, l’Esprit de vérité, il vous introduira dans la vérité tout entière ; car il ne parlera pas de lui-même, mais ce qu’il entendra, il le dira et il vous dévoilera les choses à venir. » (Jn 16, 13)

– « Tu as raison ! Jésus distingue, très clairement, l’Esprit du Père. Il dit qu’il l’enverra d’auprès du Père. » Et l’ange me dit :

– « Puisque Jésus envoie l’Esprit, c’est que l’Esprit est relié à lui, que c’est son Esprit, sinon il ne l’enverrait pas et il ne pourrait pas le donner sans mesure. Car on ne peut donner sans mesure que ce que l’on possède sans mesure. L’Esprit Saint est bien l’Esprit du Fils mais cet Esprit procède également du Père. Sinon, Jésus n’aurait pas dit : « l’Esprit qui est d’auprès du Père ». Le Père est donc l’origine du Fils et de l’Esprit. Écoute Jésus ! Laisse-le tomber en ton cœur le grain de sa parole et laisse-le germer ! Ne cherche pas à accomoder ce que tu entends de la sainte Trinité  à ce que tu vois dans ce monde. Ne t’accroche pas aux images : au trèfle qui pousse, à la lumière de la triple bougie, au triangle que tu peux tracer, à la fontaine d’amour… Le trèfle est faux parce que ces trois feuilles sont pareilles. Elles ne disent rien de la distinction du Père, du Fils et de l’Esprit. La triple lumière qui n’en fait qu’une est fausse parce qu’elle ne dit rien, elle non plus, des relations distinctes : la paternité du Père, la filiation du Fils, la procession de l’Esprit. Il en va de même pour le triangle qui géométrise les personnes divines et leurs relations vivantes, sans te donner la moindre idée de ce que le Père, le Fils et l’Esprit sont dans l’unité de leur essence. Quant à l’image de la trinité comme d’une fontaine d’où jailliraient le Père, le Fils et l’Esprit, elle fait de la trinité une quaternité ! Il y aurait 1) la source de l’amour 2) le rejaillissement du Père 3) celui du Fils 4) et, enfin, celui de l’Esprit. Cette image, aussi, est fausse car elle n’est pas conforme aux paroles de Jésus.

Jésus savait parler en paraboles mais il n’a voulu utiliser, remarque-le, aucune de ces images pour faire connaître sa relation au Père et à l’Esprit. C’est donc par ce qu’il a opéré dans ce monde, quand il a pris notre humanité, et par ce qu’il a enseigné que tu connaîtras la vérité tout entière : « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, et mon Père l’aimera et nous viendrons vers lui et nous nous ferons une demeure chez lui. » (Jn 14, 23) Sois attentif à toutes ses paroles. Scrute, sans te lasser, les moindres et faits et gestes de celui qu’il nomme le Père, le Fils et l’Esprit. Ta lecture aimante et confiante, petit à petit, te transformera et, sans que tu saches comment, ton esprit s’illuminera d’une lumière qui n’est pas de ce monde. L’espace de ton cœur s’élargira et prendra les dimensions de Dieu. Ton âme se dilatera à la mesure sans mesure de la charité divine. L’Esprit « qui sonde tout, jusqu’aux profondeurs de Dieu » (1 Co 2, 10), t’unira à Dieu et tu entreras, petit à petit, dans la connaissance et dans l’amour que Dieu a de lui-même. Tu seras pris et emporté dans la vie même de Dieu. »

Fr. David Perrin o.p.

Frère David Perrin

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