Le désert lieu de l’Alliance amoureuse
Il y a des matchs où il ne faut pas arriver en retard : dès la première action, un essai est marqué… il ne fallait pas rester à la buvette. Il y a quelque chose de cela avec l’évangile d’aujourd’hui : il est tellement court qu’il ne fallait pas être distrait au début. En deux versets, S. Marc nous plie la tentation de Jésus au désert. Quand S. Matthieu et S. Luc racontent le même épisode, c’est beaucoup plus déployé, c’est un spectacle en cinémascope, avec une mise en scène grandiose, des dialogues travaillés et trois tentations qui résument toutes les tentations. Avec S. Marc, c’est comme s’il n’y avait que l’essentiel. Pas de gras : Jésus est au désert, poussé par l’Esprit et il est tenté 40 jours. Il ne nous parle même pas du jeûne de Jésus !
Alors, suivons S. Marc et concentrons-nous sur l’essentiel. C’est d’ailleurs bien ce à quoi nous sommes invités dans le désert.
Dans la Bible, quand on nous parle du désert, il ne faut pas penser au Sahara. Le désert, c’est plutôt une zone semi-désertique, une terre où il pleut très peu. Comme la pluie est décrite comme une bénédiction de Dieu qui descend sur la terre, cette terre est donc considérée comme non-bénite. Elle est inhospitalière, inhumaine. Il n’est pas étonnant d’y trouver des bêtes sauvages et des démons et que Jésus n’y rencontre pas d’hommes. Le désert, c’est un lieu où on ne peut pas s’installer. Si on y demeure, cela ne peut être que comme nomade, en changeant sans cesse de lieu dans ce désert. Mais c’est surtout un lieu qu’on ne fait que traverser.
Quand Dieu nous conduit au désert – c’est une des façons de parler du Carême – le désert n’est pas la destination finale, ce n’est pas le terme de la route. Quand Dieu nous conduit au désert, c’est afin de nous emmener ailleurs, sur une autre terre, une terre bénite, promise et sainte. Mais alors, puisqu’il ne veut que nous faire passer par là, pourquoi nous y mène-t-il ?
Il le fait parce que ce passage est bienfaisant. Le désert est un lieu où les forces humaines montrent leurs limites. C’est un lieu où l’on doit bien plus s’appuyer sur Dieu, où on ne peut pas vraiment demeurer sans lui. Il y a des tentations partout, mais au désert, c’est comme si elles apparaissent plus, car le dépouillement du superflu conduit à l’essentiel. Nous ne pouvons pas échapper à la question : allons-nous faire confiance à Dieu ou le rejeter ? C’était l’expérience des Hébreux pendant les 40 ans au désert : le Seigneur était le rocher, la source, l’ombre, il donnait la manne et les cailles à manger. Sans ces grâces données au jour le jour, jour après jour, ils ne pouvaient tenir. Mais allaient-ils donner leur confiance à Dieu ?
Attention, comprenons bien : Dieu désire que nous agissions par nous-mêmes, s’il nous a donné une capacité d’action, c’est pour que nous l’utilisions. Mais nous avons aussi besoin d’agir avec lui, cette capacité à agir, à choisir, vient de lui et est faite pour être exercée avec lui. Et il y a un risque d’oublier un des deux termes : soit de ne rien faire et de paresseusement tout remettre sur Dieu, soit de vouloir tout faire entièrement par nous-même et sans Dieu. C’est pour contrer ce second défaut qu’il nous conduit au désert. Pour que nous expérimentions la nécessité d’être avec lui, pour que nous nous souvenions que nous sommes faits pour lui, que nous sommes sans repos loin de lui.
C’est pour cela que, dans la Bible, le désert est le lieu de l’Alliance. C’est au désert que Moïse reçoit la révélation du Nom de Dieu et sa mission, c’est au désert que se noue l’Alliance du Sinaï, c’est au désert qu’Elie retourne quand il cherche à retrouver l’Alliance avec Dieu. L’Alliance avec Dieu a ses racines au désert, un peu comme cette Alliance avec Noé avait ses racines dans le désert d’eau qu’il venait de traverser.
Si vous êtes marié, regardez maintenant votre annulaire gauche et rappelez-vous que l’Alliance fait partie du vocabulaire amoureux. Le désert est donc un lieu d’amoureux. Si Dieu veut nous conduire au désert, c’est parce qu’il nous aime et qu’il veut nouer, renouer ou renforcer cet amour. La sobriété du désert aide cela. L’amoureux n’a pas besoin de partir faire des banquets à Marrakech pour être heureux. Ce qui compte pour lui, c’est d’être avec l’être aimé, un peu à l’écart, dans une intimité. Une soupe de poireaux sera très bien si l’on est en bonne compagnie ! Il y a ainsi une vraie dimension amoureuse au Carême. « Chouette ! », pouvons-nous nous dire maintenant, « Nous allons renouer l’Alliance avec Dieu ! Nous allons renforcer nos liens avec lui ! » C’est une chance de pouvoir vivre le Carême. Ce serait terrible d’être triste que le Carême commence !
Le diable veut nous faire accroire que Dieu n’est pas le seul nécessaire. Dans la vie courante, beaucoup de choses peuvent nous distraire de Dieu, faire qu’on ne pense pas à lui. Et le diable voudrait remplir notre cœur de choses qui nous détournent de Dieu. En simplifiant nos vies, en enlevant le tralala, le Carême doit nous permettre de retrouver l’intimité avec Dieu. La sobriété amoureusement vécue du désert permet d’expérimenter que Dieu est le seul nécessaire. Alors entrons au désert avec enthousiasme, traversons pleins d’allant cette période !
fr. Timothée Lagabrielle op