Le maître et le disciple – saint Thomas d’Aquin

par | 29 janvier 2020

Frère David Perrin

Le Christ a promis à ceux qui quitteraient tout pour le suivre qu’ils recevraient au centuple, dès maintenant, tout ce qu’ils ont laissé et qu’ils gagneraient, dans le monde à venir, la vie éternelle. Cette promesse s’est réalisée pour saint Thomas d’Aquin. Ce fils d’une noble famille italienne a renoncé à ses biens et à ses terres. Il a gagné le Royaume des cieux. Il a fait le deuil de ses titres et a reçu, pour l’éternité, un nom glorieux. Il a quitté ses parents, ses frères et ses sœurs et a gagné dans l’ordre des Prêcheurs une famille. Il a renoncé à avoir une descendance mais ses enfants sont aujourd’hui aussi nombreux que les étoiles dans le ciel. Depuis sept cents ans, des milliers d’hommes et de femmes viennent à lui pour être enseignés, conduits à Dieu, éveillés aux saints mystères.

Son œuvre est comme cette jarre de farine, dans le livre des Rois, qui ne s’épuise pas, comme ces greniers dont parlent les prophètes qui débordent de blé, comme ces jarres à Cana qui sont remplies du meilleur vin. Depuis plus de sept siècles, chrétiens et païens, viennent y puiser. Comment l’œuvre d’un seul homme peut-elle nourrir et abreuver autant de personnes ? Tous les chercheurs du monde auraient beau unir leurs forces, ils ne réussiraient pas à l’embrasser. Il resterait encore et toujours des choses à découvrir en elle.

Devant les foules affamées, le Christ avait dit à ses disciples : Donnez-leur vous-même à manger. C’est ce que saint Thomas a fait : « Il a illuminé l’Église plus que tous les anciens docteurs, disait le pape Jean XXII, en ouvrant le procès de canonisation, et l’on tire plus de profit en lisant ses livres pendant un an qu’en lisant la doctrine des autres pendant toute sa vie. »

Saint Thomas a, comme les pères, cette puissance de transmettre la vie, de préparer, de l’extérieur, ces auditeurs à recevoir en eux l’impression de la science de Dieu. À son contact, notre intelligence est illuminée. Elle découvre des vérités qu’elle n’aurait pas vues, si elle n’avait été aussi adroitement conduite.

Saint Thomas est un père parce qu’il ne cherche pas à penser à notre place, parce qu’il nous donne les moyens de voir la vérité et de l’aimer, pour que nous soyons des adultes dans la foi, capables de transmettre à notre tour, selon ce que nous sommes, ce que nous avons contemplé.

Jamais il ne tire orgueil de sa fécondité spirituelle. Il sait que le rôle de l’enseignant est de soutenir le disciple dans sa recherche afin qu’il trouve, de lui-même, la vérité. Saint Thomas compare sur ce point l’enseignant au médecin qui, par son art, aide la nature à guérir. Quelle folie si le médecin se prenait pour la nature et s’attribuait la guérison de son patient ! « L’homme qui enseigne, dit-il, assure un service purement extérieur, à la façon du médecin qui guérit. Mais de même que la nature intérieure du malade est la cause principale de la guérison, de même la lumière intérieure de l’intellect est la cause principale de la science. »

Saint Thomas n’a jamais eu la prétention de causer la lumière dans l’esprit de ceux qui l’écoutaient ou le lisaient. C’est le disciple qui comprend, non le maître en lui. Le maître se contente par sa parole de mouvoir, de l’extérieur son élève à former lui-même, par la puissance de sa propre intelligence, ses conceptions.

L’enseignant se tient, comme la sagesse, dans le livre des Proverbes, assis, à la porte des hauts lieux et des palais de Dieu. Il attire son élève au seuil de cette maison où lui-même est entré. Et puis il l’invite à pousser la porte et à marcher.

Le chemin de la connaissance est un chemin intérieur, étroit qui s’emprunte seul. Il est une rencontre, en effet, qu’on ne peut jamais faire à la place de l’autre, une rencontre qu’une seule personne à la fois peut faire. C’est la rencontre de la Vérité.

fr. David Perrin o.p

Frère David Perrin

Frère David Perrin