Le prêtre et la veuve importune

par | 21 octobre 2019

Frère Antoine-Marie Berthaud

Frères et soeurs, une fois n’est pas coutume, mais au regard de la Parole de Dieu, j’aimerais aujourd’hui me prêcher à moi-même et méditer avec vous sur le mystère du prêtre. Le prêtre, homme de prière. Le prêtre, homme de la prière. L’homme qui intercède, qui prie au nom du Peuple et qui le fait prier. L’homme qui est appelé par Dieu pour cette mission.

Tout d’abord, s’il est un priant, c’est bien Jésus-Christ, lui-même. Le Fils unique de Dieu, Dieu le Fils est le priant, le prêtre par excellence, le seul vrai prêtre. Avant lui, sous l’Ancienne Alliance, ont existé de grandes figures qui annonçaient Jésus. De belles préfigurations de Jésus « Grand Prêtre ». Sous la Nouvelle Alliance, à la tête de l’Eglise, ce ne sont plus des préfigurations mais des hommes qui configurés au Christ le représentent et agissent en son Nom.

Chacun a sa vocation, chacun a sa place. Moïse prie et, vous vous rappelez, ceux qui l’entourent l’aident et le soutiennent dans sa mission. Car le Peuple élu a besoin du prêtre choisi par Dieu. Comme l’Eglise n’est rien sans le Christ, la communauté des croyants n’est rien sans le prêtre. De leur côté les fidèles aident leur prêtre. Ils le nourrissent, le soutiennent de multiples manières. Ainsi le ministre de Dieu se voit allégé des tâches matérielles pour qu’il tienne et dure dans sa mission qui est d’abord spirituelle, surnaturelle. Prenons un exemple : vous, fidèles de vos paroisses ou des couvents, vous aidez d’une manière ou d’une autre vos prêtres comme un peu Marie à Cana. Et vous savez que nous prions pour vous et pour le monde, que nous vous enseignons et vous dirigeons et continuons à le faire grâce à vous. Que serions-nous, frères et soeurs, sans vous ?! Vous êtes pour nous, comme Aaron pour Moïse, le visage de la Providence, pour tous.

Et puis, combien de jeunes gens ont répondu « oui » à l’appel de Dieu grâce à la prière et à l’encouragement discret de pieux laïcs ! Combien de prêtres ont retrouvé la joie de donner Dieu par la persévérance des fidèles à leur coté qui les avaient sollicités avec charité !

Mais, me direz-vous, les prêtres sont surchargés, fatigués. Mais est-ce qu’on leur demande de nous donner Dieu – ce pour quoi ils sont faits ? Est-ce qu’on n’exige pas d’eux parfois autre chose ? C’est peut-être cela qui les fatigue ?! Le prêtre est fait pour servir Dieu en servant les hommes et c’est d’abord en servant Dieu que le prêtre sert le mieux les hommes. Devant mes confrères prêtres, je dois le reconnaître : le prêtre ne s’use que quand on n’en use pas.

Quand nous nous inquiétons de nos prêtres, on se demande souvent s’ils ont aujourd’hui une vie vraiment humaine ? L’Eglise ne leur demande-t-elle pas quelque chose d’inhumain ? Bien sûr il est bon de se soucier des conditions de vie des prêtres ; c’est important. Mais n’oublie-t-on pas parfois, non pas la dimension humaine de leur vie, l’humanité du prêtre, mais la dimension surnaturelle de leur vie, le sceau divin, la marque invisible de leur consécration, de leur ordination sacerdotale ?! Ce sacrement qui les met à part, qui les consacre, qui les lie à Dieu de façon intime et particulière pour le servir ? N’oublie-t-on pas la grâce qui mystérieusement et réellement les configure au Christ vrai prêtre dont les joies sont bien au-delà de nos joies humaines, visibles ?

Combien de prêtres ont été sauvés dans leur ministère par des chrétiens qui ont soutenu leurs bras qui s’affaissaient, leur prière qui faiblissait. Combien ont retrouvé leur raison d’être, intime et sacrée en leur coeur, ont redécouvert leur utilité au sein de la communauté des croyants par la demande aimante et obstinée de leurs brebis ?! Car si le prêtre est à part, c’est pour servir. Prêtres et fidèles : même mission, même combat pour le Royaume de Dieu !

J’illustrerai mon propos par l’histoire d’une dame rencontrée il y a quelques années. Cette femme voulait se confesser à son curé. Ce bon Père, pour des raisons multiples et très compliquées, avait perdu l’habitude et l’envie de confesser. Vous savez : la vie moderne et son rythme d’enfer (c’est le cas de le dire !)… Tout cela l’obligeait à faire des absolutions collectives, malgré sa conscience et les rappels de l’Eglise. Cette femme finalement l’embêtait. Il usa alors de formules gentilles du genre : « Mais, chère Madame, vous n’en avez pas besoin, vous êtes si bonne avec tout le monde » – et c’était vrai… je veux dire pour la bonté ! Mais elle revenait à la charge. N’y pouvant plus, il usa enfin d’arguments blessants, à la limite de la méchanceté : « Ecoutez, Madame, vous finissez par m’ennuyer! » Mais, comme dans l’Evangile, çà n’y changea rien. Car si l’homme avait blessé le coeur de cette femme malmenée, le prêtre, lui, restait pour elle le seul à pouvoir guérir son âme de pénitente éplorée. Alors, comme dans la parabole, le curé se dit en lui-même : « Cette femme me casse les pieds, je vais l’absoudre et elle me fichera la paix. » Seulement voilà (et c’est ce que ne dit pas l’évangile), ce prêtre, en écoutant sa confession et en lui donnant le pardon de Dieu, s’est littéralement effondré, converti. Il est sorti en larmes du confessionnal et remercia humblement cette veuve importune pour sa bienheureuse persévérance.

Grâce à cette femme, cet homme de Dieu qui vivait certainement une crise de foi a repris le chemin de la sainteté, faisant sienne à nouveau la charte du prêtre que s. Paul donnait à son disciple Timothée : « Sois un homme de prière. La Parole de Dieu sera ta sagesse. Cette union à Dieu dans une persévérance souvent pénible et une fidélité laborieuse te permettra d’enseigner, de dénoncer le mal, de faire des reproches, d’encourager, de redresser, d’éduquer dans la justice… avec beaucoup d’amour et de patience ».

Aussi, persévérer dans la prière, tenir dans la vie chrétienne, demeurer fidèle chacun à sa vocation, désirer plaire au Seigneur en toute chose… tout cela est à la fois un effort oui, mais surtout un don de Dieu qu’il nous faut sans cesse réclamer, dans la prière… sans jamais nous décourager. La Vierge Marie l’a réalisée elle-même, elle nous y aidera toujours !

Un juge inique, un prêtre parfois inique ?! Finalement, là n’est pas l’unique problème. La balle est aussi dans notre camp, mes amis. Car Jésus ne nous demande-t-il pas d’avoir la foi jusqu’au bout ? Alors oui, c’est peut-être ainsi que le Seigneur trouvera la foi sur la terre, quand il reviendra !

Fr. Antoine-Marie BERTHAUD, o.p.

Frère Antoine-Marie Berthaud

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