Le Seigneur a parlé – Fête de la présentation de Jésus au Temple

par | 2 février 2020

Frère David Perrin

Vous l’aimez plutôt sucrée, couverte de chantilly, enrobée de miel ou nature… la Parole de Dieu ? Je dis ça parce qu’elle n’est pas toujours aussi agréable et douce en bouche qu’on le souhaiterait. Dieu nous adresse parfois des mots si forts, si grands, si amers même qu’on aimerait, s’il était possible, les adoucir un peu, les enrober, les recouvrir de chantilly ou de confiture.

Ce fut peut-être, l’espace d’un instant, ce que Joseph et Marie ont souhaité, en entendant les paroles de Syméon et d’Anne. Mettez-vous à leur place. Après tout ce qui leur était arrivé à Bethléem, Joseph et Marie aspiraient à un petit peu de calme. Se fondre dans la foule qui grossissait, à mesure qu’ils s’approchaient du Temple, n’était pas pour leur déplaire. Enfin, ils étaient des parents comme les autres, des parents qui viennent, comme les autres, consacrer leur premier-né au Seigneur. Fini les anges qui battent la campagne, fini les bergers qui surgissent en pleine nuit et rameutent tout le village, finis les rois à qui vous ne pouvez offrir, en guise de siège, qu’une botte de paille et, en guise de boisson, qu’un bol de lait ! À Jérusalem, au moins, personne ne les connaissait ! Ils redevenaient un couple sans histoire, anonyme. Tout était, semble-t-il, revenu à la normale. Leur attention n’était plus concentrée que sur les deux jolies tourterelles qui roucoulaient dans la petite cage de bois. Pourquoi ne pas les libérer et les laisser s’envoler bien haut dans le ciel ? C’était peut-être ce à quoi Joseph et Marie pensaient quand soudain, pardonnez-moi l’expression, le vieux a déboulé.

Cet homme était, sans rire, vieux comme Mathusalem. Mais son grand âge ne l’avait pas empêché de jouer des coudes et de crier comme un forcené : « Laissez-moi passer ! Laissez-moi passer ! » En entendant le bruit qu’il causait et la foule qui s’agitait, Marie fit passer Joseph devant elle, comme pour se protéger. Mais en voyant arriver sur lui ce vieillard tout tremblant, qui tendait les bras vers l’enfant, Joseph comprit et le laissa passer. Les larmes coulaient sur ses joues ridées. Il prit l’enfant dans ses bras et se mit à prophétiser.

Comme le livre que l’ange demanda au prophète Ézéchiel et à saint Jean d’avaler, ces prophéties furent douces puis amères. Douces, parce que ce que disait ce vieillard, aussi vieux que l’espérance d’Israël, aurait réjoui le cœur de n’importe quel juif ! Qui n’aurait pas exulté en l’entendant acclamer le messie ! Maintenant, ô maitre souverain, tu peux, selon ta parole, laisser ton serviteur s’en aller en paix, car mes yeux ont vu le salut. Elle était là, dans ses bras, la lumière qui se révèle aux nations et donne gloire à son peuple Israël. Elle était là, blottie contre lui la raison d’être de toute sa vie. Mais à ces paroles si douces au cœur de Joseph et de Marie, succédèrent des paroles amères. Voici que cet enfant provoquera la chute et le relèvement de beaucoup en Israël. Il sera un signe en butte à la contradiction. La chute et le relèvement de beaucoup, un signe de contradiction. En un instant, Marie et Joseph entrevirent le déchirement d’Israël, les cœurs mis à nus, les cris et le sang. Ils virent le combat de la lumière et des ténèbres, la lumière qui accuse les ténèbres, les ténèbres remués et dérangés comme de la boue remuée, comme des ombres délogées. Ils virent leur enfant élevé au-dessus des hommes, comme un roi. Ils virent leur enfant contesté, contredit, rejeté. Ils virent, comme sur un champ de bataille, ceux que sa main relèverait et ceux que sa main abaisserait. Ils virent le soleil irradier la terre et s’obscurcir à midi.

Syméon lut tout cela dans les yeux de Marie et de Joseph et, se tournant vers Marie, il fit cette prophétie : « Et toi, ton âme sera traversée d’un glaive ». Aussitôt Marie imagina son cœur transpercé, ensanglanté. Elle vit la lame enfoncée, dans son cœur, jusqu’à la garde. Pourquoi ? Qu’avait-elle fait pour mériter cela ? Qu’est-ce que ce vieil homme racontait ? Qu’allait-il donc lui arriver ? Joseph frémit en écoutant ses paroles. Il aimait sa femme et eut peur de la voir souffrir. Marie, transpercée par un glaive, Marie souffrante : cette pensée lui était insupportable. Le plus dur était d’apprendre qu’il ne serait pas à ses côtés, quand tout cela arrivera, qu’il ne sera plus là pour souffrir avec elle, que son âme, seule, sera transpercée de douleur. Syméon lui annonçait, sans le dire, sa mort. Mais c’était son absence, auprès de la femme qu’il aimait, qui le transperçait.

Les cris de joie qui s’élançaient maintenant à côté d’eux — une vieille femme du nom d’Anne s’était mise à louer Dieu et à répandre, comme en écho, les paroles de Syméon — ne réussirent pas à chasser les ombres qui venaient de se lever dans leur cœur. Combien elles étaient douces, combien elles étaient amères ces paroles que Dieu leur adressait aujourd’hui. Il les avait gravées dans leur cœur comme par un fer rouge. Et ce fer les avait fait crier de joie et de douleur. Il n’était plus possible de les oublier, de les adoucir ou de les atténuer par quoi que ce soit. Il fallait les accepter telles qu’elles étaient. Telles que le Seigneur les avait dites, il fallait les garder en son cœur : nature. Le Seigneur avait parlé.

Frère David Perrin

Frère David Perrin