Le testament de saint Dominique

par | 8 août 2021

C’était l’été ; un 6 août, très exactement. La ville de Bologne était écrasée par la chaleur. On avait placé Dominique dans la pièce la plus fraîche du couvent. Il était étendu sur le lit et respirait faiblement. Sentant son heure venir, il réunit ses frères autour de lui et fit ce testament : « Voici, frères très chers, ce que je vous laisse pour que vous le possédiez comme des fils par droit héréditaire : ayez la charité, conservez l’humilité, possédez la pauvreté volontaire ![1] »

Ayez la charité ! Cette charité qui n’est pas n’importe quel amour mais l’amour de Dieu qui vous donnera de l’aimer à sa manière, comme il s’aime lui. Cette charité qui vous poussera à lui donner du temps chaque jour et que vous viendrez puiser à la fontaine des sacrements. Ayez cette charité qui vous fera pousser les murs de votre cœur et faire de la place à tous les hommes : au pauvre qui sonne à la mauvaise heure, au riche qui vous réclame, au malade qui pleure, au frère ou à la sœur qui vous retient, au mécréant qui se moque de vous et même à celui qui se dit votre ennemi. Que nul ne se sente exclu de votre cœur, indigne de votre amour. Si vous aimez tous les hommes, tous vous aimeront. Ayez la charité « efficace pour se soucier du salut des hommes et le leur faire obtenir[2] ». C’est à la prière, en effet, que vous aurez pour vos frères, au souci que vous vous ferez pour leur âme, au bien que vous leur procurerez, aux peines que vous offrirez à Dieu en réparation pour leurs péchés, que se vérifiera l’or de votre charité.

Conservez l’humilité ! L’humilité est aussi fraîche et fragile que la rosée. Elle s’évapore au soleil de l’orgueil. Que votre lumière brille, qu’elle resplendisse, mais doucement, comme la lumière du matin ou celle du soir. Il est beau d’illuminer mais pas d’éblouir, bon de vouloir réchauffer mais pas de brûler. « Que chacun, par l’humilité estime toujours les autres supérieurs à soi » (Ph 2, 3). Le cœur de vos frères est un mystère, un pays que vous n’aurez jamais fini d’explorer. Sur ce point, tu l’emportes sur lui ? Mais que sais-tu des autres ? Ne te dresse pas trop vite sur tes qualités, tu risques de ressembler au coq sur son tas de fumier. Humiliez-vous, mes frères, sous la main puissante de Dieu et de vos supérieurs. Obéissez-leur sans réplique et sans récriminer même quand ce qu’ils vous demandent vous déplait et vous contrarie. Soyez doux et humbles de cœur comme notre Seigneur. Que le jeune écoute avec respect les paroles de l’ancien et que l’ancien ose se remettre en question. Souvenez-vous que ce n’est pas dans sa jeunesse mais dans sa vieillesse que Salomon s’est perdu. Sans l’humilité, sachez-le, il n’y a pas d’unanimité possible. Comment ne faire qu’un cœur et qu’une âme si chacun se met en avant et recherche son bien propre et non le bien commun ?

Possédez, enfin, la pauvreté volontaire ! C’est un bien précieux qui manque, hélas, à beaucoup de religieux. Qu’il ne soit pas dit de l’Ordre de Dominique qu’il est l’ordre des riches et des gras ! J’ai fait de vous des mendiants qui recevront le pain que leur prédication aura gagné et non obligé. N’entassez pas dans vos âmes, dans vos cellules et dans vos couvents des biens sans importance. Le Seigneur ne peut faire sa demeure dans des lieux encombrés. Renoncez aux possessions et aux revenus. Et soyez prudents, extrêmement prudents, avec l’argent. Que votre main compte les grains de votre chapelet plutôt que les pièces de votre bourse. Demeurez à pied car c’est ainsi que les hommes se rencontrent et que la beauté de la création se découvre. Enfin, dispersez-vous ! Le grain ne pourrit-il pas quand on l’entasse ? Je veux quand je serai mort vous voir marcher deux par deux sur les chemins du monde, prêcher l’évangile du salut en tout lieu, en tout cœur. Vous serez mes fils, vous serez la lumière du monde et le sel de la terre, si vous avez la charité, si vous conservez l’humilité et si vous possédez la pauvreté volontaire !

Fr. David Perrin o.p.

[1] Pierre Ferrand, Légende de saint Dominique, dans Saint Dominique, de l’Ordre des frères prêcheurs. Témoignages écrits fin XIIe-XIVe siècle, textes traduits, annotés et présentés par N. Bériou et B. Hodel avec la collaboration de G. Besson, Paris, Le Cerf, 2020, p. 844.

[2] Jourdain de Saxe, Petit livre, 8 [12-13], op. cit., p. 612-613.

Fr. David Perrin