Les bons pasteurs
Parlons berger, parlons brebis.
Nous l’impose l’Évangile de saint Jean, l’évangile du Bon pasteur, le même texte divisé en trois et réparti sur les trois années A, B et C. C’est dire que nous n’y coupons pas, chaque année.
Quelle en est la pointe ? « Je suis la porte des brebis », dit le texte A ; « Moi, je suis le bon pasteur », dit le texte B ; « Jamais (mes brebis) ne périront », dit le texte C. En somme, c’est le Christ qui a la main, il est un avec le Père, il garde son troupeau. C’est lui qui s’occupe de tout, il prend soin de nous. Donc tout va bien.
Cette leçon est la vérité, c’est notre foi. Elle préside à toutes les questions que nous nous posons. Dans cette perspective, un philosophe catholique français a pu dire récemment, à peu près en ces termes : ce n’est pas à nous de nous occuper du Christ, c’est lui qui s’occupe de nous.
Il y a là une vérité profonde, avec toutefois un angle mort. La vérité profonde est que la grâce précède notre action, partout et toujours. Le Christ dirige, nous sommes menés. Rien ne conduit au Christ que le Christ lui-même. Rien d’humain ne prépare la foi, seule la foi restaure l’humain et le préserve.
L’angle mort est l’absence d’intermédiaires. Le Christ conduit, mais en nous donnant des pasteurs, pris parmi nous : des missionnaires pour évangéliser, des prêtres pour nourrir et pour pardonner. Ce n’est pas parce que le Christ est l’unique berger du Père que les brebis ne sont que des moutons. Il n’empêche pas notre participation, au contraire il la suscite. Le bon pasteur a donc voulu s’entourer de pasteurs, de prêtres tout simplement.
C’est pourquoi nous réfléchissons sur le rôle du prêtre ; pas du baptisé, pas des religieux, mais du prêtre, du besoin des prêtres. Ici glapissent nos questions.
En voici une première : « Il y a bien assez de prêtres, puisque le nombre de prêtres est proportionnel à celui des catholiques pratiquants ».
La courbe est exacte, elle s’explique d’ailleurs facilement : ce sont les catholiques qui fournissent des prêtres, ou bien directement depuis les familles et les communautés ecclésiales, ou bien indirectement avec la rencontre d’un chrétien.
Mais la question n’est pas celle d’un service de fonctionnaire du culte, comme le besoin dans les villages d’un pharmacien ou d’un bureau de poste. La question est celle du prêtre comme pasteur et missionnaire. C’est simple, et il faut avoir le courage de le reconnaître : pas de missions sans prêtres.
La culture woke atteint les catholiques aussi, autrement dit l’occultation de l’histoire et le déboulonnage des fondements de la foi. De tous temps, l’Église s’est faite missionnaire dans le monde entier, par l’envoi de prêtres, par milliers. Or ces prêtres-là, notamment français, étaient d’autant plus aptes à partir loin et pour longtemps qu’il y avait trop de prêtres. Le surplus était disponible.
Souvenons-nous qu’il y a un siècle exactement, plusieurs départements français, pourtant peu peuplés, offraient plus d’une centaine d’ordinations par an. Les paroisses étaient pleines de prêtres, à craquer, et les écoles catholiques aussi, pourtant premiers déversoirs du surplus. Beaucoup partaient en mission. Il y fallait générosité et courage. La quantité est donc nécessaire, étant entendu que quantité et qualité vont ensemble, par un effet d’émulation.
Le cœur catholique ne saurait se contenter de peu, il lui faut battre en grand, avec de grands projets, mais pour cela les pasteurs disponibles sont nécessaires. Rien que pour la France, aujourd’hui il y a quelques centaines de séminaristes, tous héroïques. Pour boucher les trous du territoire national, il en faut tout juste 20 000 de plus.
Voici une deuxième question : « Oui, mais les prêtres sont des hommes comme les autres ».
En effet, mais personne n’a jamais prétendu le contraire. Ou plutôt il est déjà heureux de les qualifier d’hommes ; comme disait Peppone à Don Camillo : « Vous, vous êtes un curé, vous n’êtes pas un homme ». C’est peut-être, dans la bouche de ce brave maire communiste, l’aveu d’une pensée commune à bien des gens, y compris bons catholiques.
« La preuve, ajoute-t-on, c’est qu’ils sont aussi pécheurs que les autres ». En effet, ils sont pécheurs parce qu’ils sont hommes et chrétiens, marqués eux aussi par le péché originel, de surcroît pauvres pécheurs de par leurs péchés personnels. Les péchés personnels sont les mêmes pour tout le monde, inégalement commis, mais également possibles. Il faut que nous ayons perdu le sens du péché pour imaginer que les péchés des chrétiens en carême ne concernent que les infractions en matière de tablettes de chocolat (là, je le reconnais, je plaide pour ma paroisse).
Le Christ n’est pas mort en croix pour nos excès de chocolat à venir, au long des siècles. Il a souffert mort, passion et résurrection pour davantage. Plusieurs fois, le curé d’Ars a fui sa paroisse et son confessionnal pour se réfugier dans un monastère et, avouait-il, pour y finir sa vie et y « pleurer ses péchés ». Quels péchés ? Qu’avait-il à pleurer ? Nous ne le savons pas. Ce grand saint se savait pauvre pécheur, jusqu’au bout un gracié combattant son péché. Il n’y a pas les bons et les méchants. Seuls existent les pécheurs en constante exigence de conversion.
Alors oui, les prêtres sont des hommes comme les autres. Ce sont vos fils, vos frères, vos oncles, vos neveux, vos cousins. C’est de toute façon chez vous qu’on les trouvera, et même parmi vous, c’est-à-dire toi et toi. On s’exclame : « Vous n’avez pas trouvé mieux ? ». Non, mais le mieux, c’est vous.
Se pose une troisième question, à pas de loup parmi les brebis : les grands saints de l’histoire de l’Église, disons les pasteurs les plus remarquables, ceux que l’on connaît, furent-ils les échantillons de leur époque, ou bien des exceptions ? Reflètent-ils l’éclat de la société chrétienne de leur temps, ou bien la résistance qui fut la leur à un siècle de fer, de stupre et de lucre ?
Sans doute un peu des deux. Les livres d’histoire retiennent les grandes figures et oublient vite la médiocrité de l’entourage. Ils ne nous permettent pas toujours de mesurer que bien des époques furent pires que la nôtre, entre prêtres saints, prêtres exemplaires, prêtres médiocres, moutons noirs. Pourquoi ? Parce que ce sont les saints d’alors qui aujourd’hui éclairent leur siècle, même si leur siècle pécheur ne l’a jamais su.
Tout cela pour dire que le troupeau du Christ est bien le sien, mais qu’il n’a jamais été en parfait état, loin s’en faut, brebis et pasteurs compris. L’essentiel est ailleurs : le Christ est le berger, il appelle des chiens de berger, dont la principale qualité requise est de ne pas être sourd. Évidemment, les candidats sélectionnés doivent aussi accepter de renoncer à bêler, et apprendre à aboyer.