Les pratiquants non-croyants
Les pratiquants non-croyants
Vous connaissez sans doute cette catégorie de gens qui sont les croyants non-pratiquants. Croyant non-pratiquant, on voit à peu près ce que ça veut dire, même si cette idée de pouvoir croire et ne pas pratiquer est quand même étrange… Comme si les deux n’allaient pas ensemble. Moi, je suis nudiste non-pratiquant ! ça n’a pas beaucoup d’impact sur ma vie…
Vous connaissez donc les croyants non-pratiquants, mais connaissez-vous l’autre catégorie, ceux qu’on pourrait appeler leurs cousins (ou leurs opposés) : les pratiquants non-croyants ? Ils sont moins célèbres, on parle moins d’eux, et pourtant ils existent bien. J’en ai déjà rencontré quelques-uns. J’ai vu des personnes qui se définissaient comme cela. Par exemple, des hommes qui allaient à la messe en suivant leur femme, mais sans y croire (comme quoi, l’amour fait faire des choses extraordinaires !), ou qui allaient à la messe pour les chants (c’est le moment de dire toute notre gratitude au travail de notre frère André Gouzes…).
On parle peu des pratiquants non-croyants, peu de personnes se définissent ainsi, mais en fait ils sont plus nombreux que ce qu’on pourrait penser. Il est facile d’être plus pratiquant que croyant, c’est-à-dire de poser les actes du culte, de la foi pour des motifs humains plutôt que pour des motifs vraiment religieux, spirituels, divins. Il n’y a pas que dans une société de chrétienté qu’on peut aller à l’église pour des motifs matériels plutôt que spirituels. Aujourd’hui encore, il est possible que ce qui motive la pratique soient des motifs sociaux (l’usage familial auquel il ne faut pas déroger, ou l’habitude, ou le souci de défendre un art de vivre à la française, ou que sais-je encore…). Aujourd’hui encore, il est possible que ce qui motive la pratique soient des motifs humains plutôt que l’attachement à Dieu, à Jésus Christ ou à la Sainte Trinité. On est plus pratiquant que croyant, par exemple, quand on aime les valeurs du christianisme sans avoir une relation avec le Christ Jésus fondateur du christianisme.
Dans la synagogue de Capharnaüm, quand Jésus a donné le discours sur le pain de vie, il y avait devant lui beaucoup de pratiquants non-croyants. C’est bien ce que l’Évangile vient de nous dire : beaucoup de disciples de Jésus – donc des gens qui l’ont suivi, qui l’ont écouté… des pratiquants peut-on dire – ne croient pas en Jésus : « Il y en a parmi vous qui ne croient pas ! » (Je ne le dis pas pour vous – même si j’espère bien que vous serez plus croyant en sortant de cette église que vous y êtes rentrés – c’est ce que Jésus dit à ces disciples, lui qui « savait […] quels étaient ceux qui ne croyait pas ».)
Le problème quand on est pratiquant non-croyant, c’est que la vie chrétienne n’a pas de bonnes assises. C’est une situation très précaire. Avec les seules forces humaines, avec des motifs seulement humains, on ne peut pas gravir la montagne de la foi. À la moindre épreuve un peu sérieuse, comme les disciples de cet évangile c’est l’abandon qui guette. On peut s’en retourner et cesser d’accompagner Jésus. Et ce ne sont pas seulement les épreuves extérieures (comme des persécutions) qui peuvent entraîner cet abandon. En fait, c’est la foi elle-même qui peut agir comme un répulsif. Ce qui fait fuir les disciples de cet évangile, c’est l’enseignement de Jésus lui-même, ils partent quand Jésus rentre dans la profondeur de son enseignement. « Cette parole est rude ! disent-ils. Qui peut l’entendre ? » Oui, pour celui qui est attaché d’abord à la vie présente, pour celui qui cherche à obtenir ici-bas à tout prix la part de bonheur qu’il n’espère pas goûter dans l’autre vie, les paroles de Jésus sont rudes. Ceux qui s’étaient attachés à Jésus pour ses miracles, ou parce qu’ils étaient pris par l’euphorie du mouvement de foule et par des paroles fortes se désaffectionnent de lui. Ils étaient pratiquants non-croyants. Le motif de leur attachement à Jésus était purement humain, c’était « la chair » dirait S. Jean ; mais « la chair n’est capable de rien » pour la vie éternelle, « c’est l’esprit qui fait vivre ».
La foi, le fait d’être vraiment croyant, le vrai attachement fort à Jésus est surnaturel. Il dépasse ce que peut l’homme. Il vient de Dieu. « Personne ne peut venir à [Jésus] si cela ne lui est pas donné par le Père. » Ce ne sont pas la chair et le sang qui inspirent la réponse de S. Pierre, mais le Père des Cieux (cf. Mt 16,17).
Attention ! cela ne veut pas dire que le Père n’a donné sa grâce qu’à ceux qui restent avec Jésus et que les autres n’avaient pas reçu cette grâce et ne pouvaient qu’abandonner Jésus, dommage pour eux ! Non, bien sûr : le Père donne à chacun bien assez de grâce pour aller à Jésus. C’est en vertu de cette grâce qu’on peut entrer dans cette vie surnaturelle de la foi. Si on y entre c’est que le Père nous y a appelé. Et si on n’y entre pas, c’est qu’on n’a pas répondu à cet appel.
Vous voyez, les pratiquants non-croyants n’ont pas une situation enviable. Mais ils ont l’avantage d’être dans une certaine proximité avec Jésus, de pouvoir entendre son enseignement et cela peut être le point de départ d’une vie spirituelle. Et c’est vrai pour nous-mêmes, qui pouvons être plus pratiquants que croyants, soit parfois, soit pour certains aspects de notre vie. Nous pouvons être attaché à la vie chrétienne pour des motifs d’abord humains. Mais nous ne sommes pas obligés d’en rester là ! Nous pouvons trouver (ou retrouver) de meilleurs motifs de notre foi, nous pouvons faire grandir en nous le désir d’aimer Dieu pour lui-même, d’aimer le Christ tel qu’il se donne à aimer et de cultiver notre vie de foi, de cultiver cette relation surnaturelle avec Dieu dans le quotidien qui est la foi.
Fr. Timothée Lagabrielle op