Les prophètes – fr. Jean-Ariel Bauza Salinas o.p.

par | 3 février 2013

Les prophètes

Homélie pour le 4° dimanche du TO 2013 (Lc 4, 21-30)

Le ministre se lève, ajuste son micro et parle. Le ministre manifeste, presque avec larmes, son étonnement devant l’attitude bornée de ceux qui n’arrivent pas à s’ouvrir aux grandeurs évidentes de la nouvelle civilisation qui doit advenir. « Quand vont-ils se taire ces prophètes de malheur ? Quand cesseront toutes ces jérémiades d’un monde archaïque ? Quand vont-t-ils nous laisser faire ? Nous vous portons la lumière, nous allons libérer ceux qui sommeillent encore dans les ombres des croyances dépassées. Il faut bien délier un jour la société des vieux schémas dont elle n’est plus consciente. Bref, nous sommes les nouveaux docteurs de la loi. Laissez-la nous ! La Loi, c’est nous. A nous de décider ce qui est bien et ce qui est mal. Vous autres, qui vous opposez à notre paradis, vous n’avez qu’à partir. Votre parole n’a pas le droit du sol, elle nous est étrangère ».

À ces mots, dans l’Hémicycle, la majorité devient heureuse. Ils applaudissent les prophéties d’un monde enfin ouvert et tolérant. Et ils votèrent avec fierté.

Ils se levèrent, poussèrent Jésus hors de la ville, et le menèrent jusqu’à un escarpement de la colline, pour le précipiter en bas (Lc 4, 30).

Toute ressemblance avec l’actualité n’est qu’accidentelle.

Au long de l’histoire d’Israël, nous assistons à des affrontements entre ceux qui prônent la loi des hommes et ceux qui annoncent les voies de Dieu. Les prophètes disent aux premiers : Comment pouvez-vous dire: « Nous sommes sages (…) ? Ils ont méprisé la voix de Seigneur ! Visions de mensonges, rêveries du cœur, voilà ce qu’ils prophétisent …  (Jer 14, 15). Et ceux-ci réagissent : Venez ! Machinons un attentat contre Jérémie, car la Loi ne périra pas faute de prêtre, ni le conseil faute de sage, ni la parole faute de prophète. Venez! Dénigrons-le et ne prêtons attention à aucune de ses paroles. » (18, 18). Et alors, le chef de la police dans le Temple, entendit Jérémie (…), il le frappa, puis le mit au carcan (Jer 20,2). Les princes de Jérusalem, furieux contre Jérémie, le frappèrent et le mirent au cachot (Jer 37,15).

Et ce sera toujours la même histoire : Parle donc (dit le Seigneur à Jérémie) aux hommes de Juda (…). Mais ils vont dire : « Inutile! Nous suivrons nos propres plans; chacun agira selon l’obstination de son cœur mauvais. »  (Jer 18,12).

Le Seigneur cependant aura toujours prévenu le prophète : Même tes frères et la maison de ton père, même eux te trahiront! (Jer 12,6).

Bref, « nul n’est prophète en son pays » (Lc 4, 23). Pourquoi donc ? Parce que ce qu’il dira ne vient pas du terroir mais d’une autre contrée, d’un royaume qui n’est pas de ce monde. La parole du prophète est comme une épée tranchante qui sépare ce qui est bon de ce qui est mauvais.

Oui, il est dur d’entendre : « Détournez-vous de votre voie mauvaise, améliorez vos voies et vos œuvres » (Jer 18, 12). Mais cela n’est que le premier pas, le premier coup de pioche pour creuser la terre où devra jaillir ensuite une eau vive. Car ce n’est pas de la morale que cause le prophète. Son message fondamental est, en définitive, celui que le Christ a lu dans la synagogue de Nazareth, la prophétie d’Isaïe que nous avons entendu dimanche dernier : Le Seigneur m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres (…) (il m’a envoyé) annoncer une année de bienfaits accordée par le Seigneur (Is 61,1).

Le drame de ce monde est qu’il pense que le prophète est celui que ne parle que de l’avenir, un gentil demeuré zen attitude­ que débiterait des niaiseries écologiquement correctes et de jolies promesses de bien-être et de bonheur. Mais ce n’est pas du tout ça, un prophète. Le vrai prophète est celui que met le doigt dans la plaie, dans la plaie concrète du monde d’aujourd’hui, qui dénonce la pourriture et qui nomme les choses par leur nom : homicide, adultère, perversion, dépravation, orgueil… « Mais faites-le taire ! », crient les Docteurs de la loi : « Quelle manque de prudence ! Quelle intolérance ! Comment a-t-il osé dire… à Hérode qu’il ne lui était pas possible d’avoir la femme de son frère ! Mais ils s’aiment ! Allez : qu’on lui coupe la tête. Médiatiquement, bien entendu ».

Le prophète est celui qui dénonce que le monde présent est très loin de vivre selon la vérité et la justice de Dieu. Et qu’il faut creuser encore, arracher et planter, élaguer et construire. Mais surtout et c’est cela la fine pointe du message prophétique il s’agit d’abord, d’entendre.

Le prophète vient nous dire que Dieu se révèle, que Dieu parle, qu’il se donne par la Parole. Dieu parle, et l’homme ne veut pas comprendre. Dieu parle, d’abord par ses prophètes et enfin, en son Fils. La lumière luit dans les ténèbres et les ténèbres ne l’ont pas saisie (Jn 1, 5). Il est venu chez lui, et les siens ne l’ont pas accueilli (Jn 1, 11). Le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous, et nous avons contemplé sa gloire (Jn 1, 14). A nous il nous a été donné de l’entendre, mais aussi de devenir, à notre tour, parole. C’est-à-dire, de continuer –selon la dynamique baptismale– la vocation prophétique de l’Eglise. De dire les choses, de ne pas nous taire. De dire surtout l’amour exigeant de Dieu, son pardon et sa miséricorde.

Nous serons toujours, quelque part, les fils du charpentier. Mais cette réalité humaine et horizontale, ne doit pas, ne peut pas phagocyter notre vocation surnaturelle, notre élan vertical, notre filiation véritable qui fait de nous des citoyens des cieux et héritiers de la patrie éternelle.

Il y aura toujours en nous ce paradoxe incompréhensible pour le monde. On verra toujours en nous des gens bizarres et inadaptés. Regardez Ezéchiel, qui perce le mur de la ville et mime un déporté (Ez 12, 1), Elie, à qui on pourrait accuser d’aller manger les dernières provisions d’une veuve (1 R 17, 11) ou Isaïe, qui se promène bizarrement dans les rues de Jérusalem (Is 20, 1-6). Mais tout cela est secondaire, une sorte de trop plein : Dieu va, en effet, tout faire pour amener le peuple à la raison, à la vérité, à la plénitude de son amour. Et même s’il doit être traité d’insensé par les gens de sa propre famille, comme l’on lit en Mc 3, 21 (« Il a perdu la raison»), Jésus va tout faire pour nous rendre la vie. Et même perdre la sienne.

A la brise du soir, le divin jardinier est venu nous visiter. Il est venu parmi nous, il nous a annoncé la Bonne Nouvelle et nous l’avons poussé hors de la ville et crucifié.

Lui, qui avait quitté la patrie du Père pour venir nous dire l’imprévisible, l’inconcevable, l’impossible, il s’est laissé déposséder. Il est devenu même étranger aux hommes, ver et non pas homme, honte du genre humain, rebut du peuple (Ps 21, 7). « Dehors, le mauvais prophète, laisse-nous faire la Loi ! ». « A bas le charpentier, au pilori, ou mieux encore, cloué sur le bois ! ».

C’est sur le bois que s’accompliront toutes les prophéties. Sur le bois qu’il dira ses dernières paroles par lesquelles il nous lègue le don du pardon, la soif de sauver le monde, la confiance dans le Père et le don de sa Mère, et enfin, l’espérance d’être avec lui dans notre vraie patrie, le Paradis.

fr. Jean-Ariel Bauza Salinas o.p.

Frère dominicain