Merci Marthe !

par | 21 juillet 2019

Frère David Perrin

Nous sommes à Béthanie. C’est l’été. Il fait quarante degrés à l’ombre. Jésus et ses disciples frappent à la maison de Marthe et Marie. Marthe vient leur ouvrir. Elle les accueille et s’empresse de leur servir à boire. Au bout de quelques minutes, elle les invite à rester dîner : « Combien êtes-vous ? Douze plus le maître.. ? Cela ira ! » Tout l’après-midi, elle fait de son mieux pour préparer le repas. Les heures passent. Marthe est épuisée. Allez, courage : encore un dernier plat à mettre au four et ce sera fini ! Elle est en nage… Elle sort de la cuisine, jette un regard rapide sur la table et voit qu’elle n’est pas mise. C’en est trop ! Sa sœur n’est même pas fichue de se lever. Voilà quatre heures qu’elle est là aux pieds de Jésus, buvant ses paroles, pendant qu’elle sue sang et eau. Soudain, elle n’y tient plus. Profitant d’un passage éclair devant les invités sagement amassés autour de Jésus, elle lance, rouge de colère, cette petite phrase qu’elle a eu le temps de ressasser dans sa cuisine : « Seigneur, cela ne te fait rien que ma sœur m’ait laissé faire seule le service ? » Sous-entendu : « Tu en as rien à faire que je me démène pendant que ma sœur, cette fainéante, est tranquillement assise à tes pieds à t’écouter ? »
Qui n’a jamais laissé échapper de tels mots ? Qui n’a jamais senti son désir et sa joie de servir s’estomper à mesure que ses forces s’épuisent et que les autres autour de soi se reposent ? Qui n’a jamais senti grandir en soi ce sentiment d’injustice et de colère alors qu’on ne cherchait initialement qu’à faire le bien et à rendre service ? Sous l’effet de la colère et de l’envie, nos mérites fondent comme neige au soleil. Notre cœur se ferme et bouillonne de rage, comme celui de Marthe qui accuse sa sœur et en veut à Jésus de ne pas avoir pris son parti, de l’avoir laissé seule, de l’avoir oubliée, de ne pas l’aimer… comme l’autre.
Mais Jésus, parce qu’il est Dieu, lit dans le cœur de Marthe. Il connaît ses pensées les plus intimes : « Marthe, Marthe, tu te donnes du souci et tu t’agites pour bien des choses. » Jésus n’a pas oublié celle qui le servait. Il a vu tout ce qu’elle faisait, même s’il n’a rien dit.
Jésus était avec Marie mais il ne perdait pas Marthe du regard. Il s’intéressait à elle, elle qui se démenait avec son four, ses plats, son balai, ses couverts, sa table… Il a vu la colère monter dans son cœur et a eu pitié d’elle.
Que tous ceux qui s’agitent et qui suent aux fourneaux se consolent : ce qu’ils font dans le secret est connu de Dieu ! Comment Marthe peut-elle dire que le Seigneur est insensible ? Jésus est touché par son désir de bien faire et peiné de voir la jalousie et la colère s’emparer d’elle et la consumer.
La faute de Marthe, qui est bien souvent la nôtre aussi, est d’accuser le Seigneur de ne pas se soucier de nous ! Ceux qui, à l’inverse, croient que le Père des cieux les regarde et se soucie d’eux dans les services les plus secrets se démènent dans la paix et dans la joie : ils gardent les yeux fixés sur Dieu. Ils ont trouvé dans le service la meilleure place !
Le péché de Marthe, c’est de tourner sur elle-même comme une toupie et de s’effondrer quand ses forces s’épuisent. Si elle avait tourné autour du Seigneur, si elle avait trouvé son axe, sa force, dans le Seigneur, elle ne serait pas tombée. Tel est le secret des grandes saintes actives qui sont des grandes contemplatives, le secret des Marthe qui sont aussi des Marie !
Avez-vous remarqué que tout ce que Jésus a dit ce jour-là à Marie a été perdu ? De cette conversation si importante entre le maître et celle qui a choisi la meilleure part, il n’est rien resté ; sans doute parce que le plus important, pour nous, ne se jouait pas aux pieds de Jésus mais en cuisine, dans le cœur de cette femme qui pestait contre sa sœur et se croyait oubliée de tous. Alors sans doute le temps est-il venu d’aller en cuisine et de dire : « Merci Marthe ! »

Frère David Perrin

Frère David Perrin