« Paix à cette maison ! » – Lc 10, 5

par | 5 juillet 2022

Frère David Perrin

Les salutations et les formules de politesse ont beau être automatiques, convenues, elles sont, en fait, essentielles. Ce sont elles qui établissent le premier contact. Elles donnent bien souvent le ton d’une relation et en disent long sur les personnalités ou l’humeur des gens. Il y a des « Bonjour ! » joyeux et retentissants et des « Salut » à l’inverse, totalement déprimants, des serrages de main douloureux et des poignées de main trop molles. J’en profite, d’ailleurs, pour rappeler à tous ceux qui broient la main et à ceux qui tendent une main flasque et chaude qu’une bonne poignée de main est ferme et douce à la fois ! C’est tout un art d’entrer en contact avec l’autre ! Ces formules et ces usages semblent, au premier abord, peu de chose mais on se rend compte de leur importance quand elles manquent.

Rien d’étonnant, par conséquent, à ce que Jésus, qui est vrai Dieu mais aussi vrai homme, les emploie ! En bon oriental, il salue ceux qu’ils rencontrent en leur souhaitant la paix. Aujourd’hui encore, les juifs disent « Shalom alekhem » ; ce qui veut dire « La paix soit sur vous ». Et l’on répond « Alekhem hashalom » ce qui signifie « Sur vous soit la paix ». Vous connaissez l’équivalent arabe : « Salamu alaikum » ! La formule n’est pas propre aux musulmans, comme on le dit souvent, mais à toutes les personnes de langue arabe. La paix est depuis toujours, pour les orientaux, le bien numéro 1, la chose la plus précieuse qu’ils peuvent souhaiter à l’autre, sans doute parce que c’est le bien le plus fragile qui soit, celui, aussi, qui leur manque le plus. J’y reviendrai.

Les occidentaux, quant à eux, ont, depuis des millénaires, une autre manière de se saluer. Depuis l’Antiquité, les européens de langue grecque disent : « Kaire » ! Le mot vient du verbe khaírô qui veut dire « se réjouir », « être joyeux ». Quand saint Luc traduit la salutation de l’ange à la Vierge Marie de l’araméen au grec, il écrit : « Kaire », ce qui veut dire littéralement, « Réjouis-toi ! » Les grecs souhaitent la joie plus que la paix à ceux à qui ils s’adressent !

Et les latins ? Que disent-ils ? Quel bien visent-ils en priorité ? Je vous le donne en mille : la santé ! Le mot latin « salve » vient de « salus » qui signifie la santé, le bien-être. La préoccupation, pour ne pas dire l’obsession des occidentaux, pour la santé, comme vous le voyez, ne date pas d’hier ! Mais le christianisme a imprimé sa marque sur ce vœu et fait évoluer le sens du mot. Au fil du temps, le mot « salut » n’a plus désigné seulement la santé du corps ou de l’âme, sa bonne conservation, mais sa rédemption. Souhaiter le salut de quelqu’un, c’est appeler sur lui la grâce salvatrice de Dieu, lui souhaiter le meilleur, à savoir la vie éternelle ! Pensez-y la prochaine fois que vous direz « Salut » à quelqu’un !

Mais revenons à cette fameuse paix que Jésus, en bon oriental, souhaite à tous ceux qu’il rencontre en particulier et aux hommes, en général : « Dans toute maison où vous entrerez, dites d’abord : ‘‘Paix à cette maison’’. S’il y a là un ami de la paix, votre paix ira repose sur lui, sinon, elle reviendra sur vous. » La paix que Jésus donne, celle même qu’il laisse à ses disciples n’est pas n’importe quelle paix. Ce n’est pas la paix des hommes : paix fragile, temporaire, toujours plus ou moins conditionnelle. Cette paix-là est au mieux une trêve ou un cessez-le-feu. La paix que Jésus nous lègue est définitive, totale : c’est la paix de Dieu. Jésus est venu apporter une paix qui n’est pas de ce monde mais qui vient tout droit du Père. Le baiser ou le signe de paix que nous échangeons avant la communion en est le signe visible. Avant de la donner, le prêtre peut embrasser le calice où se trouve le sang précieux de notre Sauveur : il signifie par ce geste que Jésus a versé son sang pour nous l’offrir. Il a donné sa vie pour que nous puissions être de nouveau en paix avec Dieu et avec nos frères ! La paix du Christ, voilà la paix que nous avons à apporter à nos frères.

Si ceux-ci n’en veulent pas, Jésus dit qu’elle reviendra sur nous. Qu’est-ce que cela signifie ? Tout simplement que les dons de Dieu ne se perdent pas. Le disciple de Jésus peut rencontrer l’épreuve, l’incompréhension. On peut lui claquer la porte au nez et même le tuer. Mais la paix du Christ qu’il est venu apporter inondera son cœur, sa maison intérieure, quoi qu’il arrive. Cet homme-là est en paix parce qu’il est chargé d’annoncer l’évangile et non de le faire croire. La foi est une histoire entre Dieu et celui à qui l’évangile a été prêché. Pour que le chrétien soit en paix, il lui suffit de dire ce que Jésus lui-même a dit, de faire en sorte que le Royaume de Dieu, en geste et en parole, s’approche ou se rapproche de ceux qui en sont loin.

La chose est à la fois simple et difficile. Il revient à chacun aujourd’hui de nous de s’interroger sur sa manière d’annoncer le Royaume. Sommes-nous des artisans de paix ? Comment apportons-nous la paix du Christ autour de nous ? Frappons-nous à la porte des cœurs ? Présentons-nous comme il se doit l’évangile de Jésus Christ ? Le Christ nous a laissé sa paix. Il dépend de nous de la saisir afin de la donner. Si cette paix est refusée, elle reviendra sur nous et nous poussera à pousser d’autres portes.

Frère David Perrin

Frère David Perrin