Philippe, le saint cancre ! – Jn 14, 6-14

par | 6 mai 2022

Frère David Perrin

Philippe se fait reprendre par Jésus comme un mauvais élève qui, décidément, n’a rien compris. Et comme souvent, lorsqu’un élève se fait corriger aussi sèchement, le reste de la classe hésite entre deux attitudes.
Il y a toujours les hypocrites qui font semblant d’avoir tout compris et qui, d’un geste de la tête réprobateur ou d’un regard accusateur, abondent dans le sens du maître et s’offusquent de la question posée par leur camarade : « Philippe, franchement, tu nous fais honte… Comment as-tu pu poser cette question ? »
Et il y a ceux qui se font tout petits sur leur chaise, parce qu’ils savent qu’ils auraient très bien pu poser, eux aussi, la question et se faire, eux aussi, allumer. Je suis personnellement de ceux-là.
Moi aussi, j’aurais demandé à Jésus de nous montrer le Père. Car, je suis désolé, mais lorsque je vois une personne, je n’en vois pas une autre. Allez expliquer à l’agent de police qui contrôle vos papiers d’identité qu’en vous voyant, il voit double, qu’il vous voit, vous, mais qu’il voit aussi votre père, là, derrière ou à travers vous. À coup sûr, il vous demandera si vous avez pris vos petites pilules ! Allez expliquer à un ami qui n’a jamais rencontré votre père qu’en fait, il le connaît et qu’il le voit, en vous voyant. Votre ami n’osera pas vous dire que vous délirez. Au mieux, il pensera que ce que vous dites n’est qu’une façon de parler.
Certes, il peut y avoir une certaine ressemblance entre un fils et son père, de sorte qu’en voyant le fils, on peut se faire une petite idée du père et de la mère. Mais, au sens strict, le fils ne montre pas le père, car ce sont deux personnes différentes, deux individus, autonomes, indépendants. Leur âme, leur corps, leur histoire, leur vie, tout est différent.
Alors quoi ? Faut-il prendre les paroles de Jésus avec des pincettes ou faut-il les prendre au pied de la lettre ? La réaction de Jésus ne laisse, semble-t-il, aucun doute. C’est à la lettre qu’il faut comprendre ses paroles. Mais si nous décidons de le prendre au mot et de croire ce qu’il dit, il faut être prêt à laisser de côté nos conceptions habituelles ou du moins à les réaménager fortement. Car l’intelligence des personnes dont nous parle Jésus n’a rien à voir, ou presque, avec celle que nous nous formons à la vue des personnes humaines.
Si Jésus dit qu’en le voyant, je vois le Père et qu’en le connaissant, lui, je connais le Père, cela signifie que sa personne et celle du Père sont égales et ont la même essence. La vision et la connaissance en lui du Père seraient, en effet, impossibles si le Père et le Fils étaient deux personnes de nature différente. Les paroles du Christ nous obligent à croire que le Père et le Fils sont, comme le dit le concile de Nicée « con-substantiels » ; ce qui explique pourquoi Jésus dit : « Je suis dans le Père et le Père est en moi ».
Mais vous remarquerez que Jésus maintient entre eux une distinction. Le Père et le Fils sont l’un dans l’autre, certes, mais ils ne sont pas, de manière indistincte, l’un ou l’autre, l’un et l’autre. Autre est le Père, autre est le Fils, mais ils ne sont pas autre chose. Si l’on dit, à l’inverse, que le Père et le Fils sont identiques, on perd la distinction des personnes. Et si l’on affirme qu’ils sont autre chose, on perd l’unité d’essence. Vous suivez ?
Jésus nous fait entrer aujourd’hui dans les profondeurs même de Dieu, là où aucun homme, jusqu’à présent, n’était encore allé. Il nous fait plonger en Dieu comme dans un abîme. Combien a-t-il raison de dire à Philippe qu’il ne le connait pas encore ! Nous aussi, nous ne le connaissons pas ou nous ne le connaissons que très mal ou très imparfaitement. Jésus est là, depuis si longtemps, avec nous et nous ne le connaissons pas. Il nous faudra beaucoup de temps encore pour apprendre le connaître en vérité et pour connaître le Père qui se donne à voir en lui, dans l’épaisseur de son humanité. Il faudra que l’Esprit Saint œuvre beaucoup en notre âme pour qu’apparaisse à nos yeux le mystère de la pluralité des personnes divines dans l’unité de leur substance.
Alors, surtout, ne faisons pas semblant d’avoir tout compris de Dieu ! Demandons aux apôtres Philippe et Jacques qui, aujourd’hui, voient Dieu face à face, d’intercéder pour nous, pour que nous puissions chaque jour connaître un peu mieux Jésus, en vérité, et le Père qui est en lui.

 

Frère David Perrin

Frère David Perrin