Profession simple du fr. Guillaume

par | 25 septembre 2019

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Fr. Olivier de Saint-Martin, Provincial
Cher frère Guillaume,
tu viens de demander la miséricorde de Dieu et celle de tes frères. Et, dans quelques temps tu vas faire ta première profession, en promettant obéissance non pas seulement ce que te diront tes supérieurs et tes frères mais aussi et surtout à ce que dit le Seigneur. C’est, en effet, d’abord à Dieu, à la Vierge Marie et à saint Dominique que tu promets obéissance, pour mettre tes pas vraiment dans ceux de notre fondateur. Et providentiellement les lectures que nous venons d’entendre nous plongent au cœur du mystère de la miséricorde qui a animé la vie de Dominique. Tu n’es pas insensible – loin de là – à ce mystère et, tu le vis fortement. Parce que tu la reçois – ainsi que tu viens de le demander – et que tu l’exerces avec aussi cette coloration particulière du ministère sacramentel. Par ta profession, tu entres pleinement dans l’Ordre des Prêcheurs que l’on aimait appeler l’Ordre des Prêcheurs de la miséricorde tant notre ministère en était marqué.
C’est là en droite ligne d’ailleurs du titre que l’on donne à notre Père saint Dominique : prêcheur de la grâce[1]. Non pas seulement parce qu’il parlait bien de la grâce mais parce qu’il touchait les cœurs, les ouvrait à la grâce qui, par le sacrement de la réconciliation allait les alléger, les gracier et donc les réintroduire dans l’amitié avec Dieu. Et peut-être qu’il est bon, pour nous, pour toi, de reprendre à grand trait l’évangile que nous venons d’entendre. N’est-ce pas une parole que le Seigneur lui-même t’adresse pour nourrir ta vocation, ton chemin de dominicain ?
Il y a la parabole du bon Berger qui est le Christ. Il part à la recherche de la brebis perdue et la prend sur ses épaules et la réintroduit dans le troupeau. Le Christ est inquiet, il ne veut pas qu’un seul soit perdu. Dominique, a suivi le Christ de cette manière là, dans sa prédication mais aussi dans ses longues prières nocturnes en lesquelles, il pleurait pour le salut des âmes : « Mon Dieu, ma miséricorde, que vont devenir les pêcheurs ? » Il faut se souvenir de ce que disait le frère Ventura de Vérone disait à son sujet : « Le bienheureux Dominique était si plein de zèle pour le salut des âmes, que sa charité et sa compassion ne s’étendaient pas seulement aux fidèles, mais même aux infidèles, aux païens, et jusqu’aux damnés de l’enfer ; il pleurait beaucoup à leur sujet »[2]. Un prêcheur doit avoir ce souci et cette espérance du salut de tous. Il doit porter ce souci dans la prière et aussi prendre sur lui une part du péché de ceux à qui il donne la miséricorde (cf. Ga 6, 2).
Il y a la parabole de la drachme perdue qui met en scène une femme qui, à l’aide de sa lampe, balaie toute la maison pour retrouver une drachme. Cette femme, c’est l’Église qui continue le Christ et part à la recherche de l’humanité perdue. La lampe, c’est la Parole de Dieu qui éclaire tout homme dans le monde (cf Jn 1, 4) et l’Esprit Saint qui illumine le cœur des croyants. L’humanité est symbolisée par la drachme qui n’a de valeur qu’en raison de l’effigie dont elle est frappée. Bien souvent des faussaires viennent changer l’effigie, faisant disparaitre celle de Dieu qui est en nous. La mission de l’Église, c’est bien de rappeler à l’homme qu’il porte l’empreinte de Dieu. Pour cela, elle a la mission de transmettre l’Évangile de Dieu (cf. 1 Th 2, 8). Dominique, disait Jésus à Catherine de Sienne, avait reçu comme office celui du Verbe qui dissipe les ténèbres et répand la lumière[3]. A sa suite, nous sommes consacrés à la Vérité, à la Parole de vérité. Alors, le cœur rempli de compassion, à la suite de Dominique, nous voulons conduire chacun à découvrir son identité de fils de Dieu pour que resplendisse en chacun l’image de Dieu, que Dieu transfigure chacun à l’image de son Fils (cf. Rm 8, 29).
Dans la parabole du fils prodigue, je voudrais vous proposer de voir la vie commune avec ses joies et ses tensions. Vie commune interne mais aussi vie de l’Église. Il y a le père qui accueille et fait miséricorde, figure de Dieu le Père. Jourdain de Saxe disait de Dominique qu’« il accueillait tout le monde au cœur de son amitié et comme il aimait tout le monde, tout le monde l’aimait ». A la suite de Dominique, nous devons apprendre à accueillir chacun comme il vient ayant bien en mémoire que ceux qui sont perdus sont parfois juste là, à côté de nous. L’évangile nous parle de deux frères. Je n’en dis pas plus. Nous devons les éclairer de la Parole. A travers les sacrements, nous les réintroduisons dans l’amitié divine et dans le banquet des noces de l’agneau. Nous sommes gardiens les uns des autres. C’est la prière que, selon le frère Ventura, Dominique adressa au Seigneur au moment de mourir. C’était de nous, de toi, dont il parlait : « Père saint, vous le savez, je me suis attaché de bon cœur à faire votre volonté, et ceux que vous m’avez donnés je les ai gardés et conservés. Je vous les recommande à mon tour ; conservez-les et gardez-les ».
Et tu le sais d’expérience, cela, nous ne pouvons le faire que parce que nous avons été trouvés par Dieu. Ce sont les autres protagonistes de la parabole du fils prodigue. Elle dit les tensions qui peuvent exister dans une famille (y compris religieuse). Tour à tour nous prenons la place du fils repentant et du fils jaloux. Nous passons de l’un à l’autre, comprenant qu’il nous faut être enveloppé de miséricorde, que nous n’en avons jamais fini de nous convertir. Oui la profession religieuse nous place sans cesse devant un impératif de conversion. Nous sommes tous le fils repentant qui a besoin du pardon parce qu’il n’a rien à offrir et qu’il doit sans cesse choisir de vivre l’évangile et convertir ses mœurs. Nous sommes le fils aîné qui est resté aussi fidèle qu’il le pouvait auprès du Père mais qui a besoin de découvrir que le salut n’est pas une récompense de ses œuvres, si bonnes soient-elles (cf. Ep 2, 8-9). Il faut sans cesse se convertir là aussi et se réjouir du salut de l’autre, fût-il encore imparfait, comme l’était la contrition de son frère cadet. Il faut sans cesse redécouvrir que le peu de bien que nous faisons, nous le faisons portés par la grâce ! Nous avons été trouvés par Dieu. Il nous a fait miséricorde pour que nous puissions la communiquer. Et devenir le père de la parabole.
Grégoire IX écrivait à propos de Dominique : « Soumettant la chair à l’esprit et la sensibilité à la raison, il devint avec Dieu un seul et même esprit et s’appliqua tout entier à le rechercher par les saints transports de l’âme, sans manquer jamais à l’amour du prochain, car il sut avec équilibre s’adonner avec zèle aux œuvres de la compassion »[4] Que ce soit là ton chemin de grâce et de sainteté. Et peut-être le nôtre à chacun ! Amen.
[1] Cf. La sainteté de Dominique, Lettre du frère Bruno Cadoré, Maître de l’Ordre, 6 août 2018
[2] Actes du procès de canonisation, Bologne, Déposition du frère Ventura de Vérone, 11
[3] Cf. Sainte Catherine de Sienne, Dialogues
[4] Grégoire IX, bulle de canonisation de Dominique

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