Saint Jean : le disciple trop aimé ? – Jn 20, 2-8

par | 27 décembre 2022

Frère David Perrin

« Ils couraient tous les deux ensemble, mais l’autre disciple courut plus vite que Pierre et arriva le premier au tombeau. » (Jn 20, 4) La vérité est là : incontestable, irréfutable. Les hommes courent ensemble mais certains courent plus vite que d’autres. On aura beau faire et beau dire ! On ne parviendra jamais — et heureusement — à résorber l’inégalité entre les hommes.

Les hommes sont comme des haies que l’on s’obstine à tailler pour qu’elles soient parfaitement rectilignes. Mais il y a toujours une branche qui pousse plus vite que l’autre et qui les dépasse. Cette branche-ci est mal-vue ! D’où sort-elle celle-ci ? Pour qui se prend-elle ? Elle ne peut pas faire comme tout le monde ?

Dans les temps démocratiques ou pseudo-démocratiques qui sont les nôtres, on peine à comprendre que l’inégalité est une chose naturelle et encore plus une chose bonne. Inégalité, pour nous, rime forcément avec injustice ! Alors on taille les branches qui dépassent ! Alors on égalise, on nivelle, on abaisse, on s’insurge contre toute forme d’excellence et contre ceux qui ont le toupet de se distinguer, comme Pierre et les autres disciples, très vraisemblablement, en ont voulu à Jean d’être « le disciple bien-aimé », le premier de classe, celui qui comprenait toujours mieux que tout le monde, qui reposait sur la poitrine du maître, à qui Jésus, sur la croix, a confié sa propre mère, qui fut le premier arrivé au tombeau, qui fut le premier à croire ! Le premier, comme toujours…

Jean est la figure de l’inégalité mal aimée des hommes mais bien-aimée de Dieu ! Bien-aimée car l’inégalité dans l’ordre de la nature et dans l’ordre de la grâce vise, in fine, le bien de tous : elle peut profiter à tous, si les premiers et les seconds font preuve, chacun, d’humilité. Voilà ce que nous apprend la course au tombeau ! Saint Jean arrive en tête mais il a l’humilité d’attendre Pierre et de le laisser entrer en premier dans le tombeau.

Les faveurs que certaines reçoivent ne sont pas tant pour eux, en réalité, que pour les autres ! Qu’il y ait des bien-aimés ne veut pas dire que les autres soient des mal-aimés. Quand Dieu gratifie certaines personnes de dons et de grâces particulières, c’est le bien de tous qu’il vise. Que les seconds n’en veuillent donc pas aux premiers d’être premiers ou à Dieu de ne pas leur leur avoir donné autant, puisque les talents naturels et surnaturels de leurs frères sont pour eux et qu’ils en profitent. Les lumières, par exemple, que saint Jean a reçues sur le Christ et son mystère font notre joie à tous. Que les premiers, de leur côté, ne s’en enorgueillissent pas d’avoir reçu des dons supérieurs aux autres, d’avoir été élus et, sous un certain rapport, préférés, car leur mission est de faire profiter le plus grand nombre de leurs talents.

Puissions-nous apprendre de saint Jean à courir de toutes nos forces, à aller aussi vite que nous le pouvons dans la vie et en particulier dans la pratique du bien et la connaissance des mystères divins ! Sans fausse modestie et sans crainte ! Mais apprenons aussi de lui à attendre, quand il le faut, ceux que l’on a distanciés et à les mettre à l’honneur. Puissions-nous, aussi, apprendre de saint Pierre à ne pas désespérer si l’un de nos frères, en une connaissance, une activité ou une vertu particulière, nous devance. Soyons-lui, au contraire, reconnaissant de nous ouvrir la voie et de nous introduire là où il est parvenu avant nous. Tel est l’ordre que Dieu a instauré dans son Royaume : les premiers se font les derniers et les derniers se font les premiers. Qu’il en soit ainsi, pour nous, dès aujourd’hui

 

 

 

Frère David Perrin

Frère David Perrin