Saint Matthieu, profession photographe

par | 5 janvier 2025

Tout le monde prend des photos aujourd’hui. Et l’on photographie à peu près tout et n’importe quoi. Il s’agit de garder la trace d’une image qui nous aura plu, touché, agacé. En combinant ces images, on arrive même à recréer l’illusion du mouvement et de la vie. De la photographie à la cinématographie, il n’y a qu’un pas. L’image devient alors imitation de la vie. L’écran qui est le support de l’image, et qui lui permet d’exister, est aussi une forme de séparation qui cache tout ce qui n’est pas l’image. A vivre dans un monde d’images, on en vient à se perdre dans le virtuel, un monde irréel ou l’on peut presque tout composer à sa guise mais qui n’est qu’un assemblage d’illusions et de fausseté.

Saint Matthieu est, lui aussi, un photographe. Il l’est même au sens le plus fort du terme. En effet, la photographie, c’est étymologiquement l’écriture de la lumière. Saint Matthieu met par écrit – c’est la graphie – l’apparition de la lumière – c’est le sens du mot φῶς, φωτός en grec – et son action sur ceux qui s’en approchent. La lumière dont l’évangéliste consigne la trace, c’est Jésus lui-même : « Moi, je suis la lumière du monde » (Jn 8, 12). Il est la « lumière qui brille dans les ténèbres » (Jn 1, 5) et qui « éclaire tout homme en venant dans le monde » (Jn 1, 9). Si est Matthieu est photographe par excellence, c’est parce qu’il ne s’arrête pas à une quelconque lumière sensible, créée ; il regarde la lumière en sa source, il contemple celui qui est la lumière et qui rend possible de voir le monde pour de vrai : « Par ta lumière nous voyons la lumière. » (Ps 35, 10).

Le premier effet de la lumière, c’est de rendre visible la réalité, c’est de mettre en lumière ce qui était caché. La lumière qu’est le Christ provoque alors, selon les mots de Syméon lors de la présentation dans le temple, le dévoilement des « pensées qui viennent du cœur d’un grand nombre » (Lc 2, 35). La lumière produit inévitablement des effets de contraste : il y a ce qui réfléchit parfaitement la lumière, ce qui la reflète un peu moins et ce qui reste dans l’ombre. C’est pourquoi le même Syméon appelle Jésus « un signe de contradiction » (Lc 2, 34). Le périple des mages est lui aussi rempli de ces contrastes. Ce sont des païens venus d’Orient mais ils cherchent le roi des Juifs. Ils suivent une étoile visible seulement la nuit et qui disparaît lorsqu’ils arrivent à Jérusalem pour réapparaître tandis qu’ils partent de la ville sainte. Ils interrogent le roi Hérode sur la naissance du vrai roi. Tous, grands prêtres et scribes du peuple en tête, auraient dû se réjouir devant l’accomplissement des prophéties : « Elle est venue ta lumière, et la gloire du Seigneur s’est levée sur toi […] Les nations marcheront vers ta lumière et les rois, vers la clarté de ton aurore » (Is 60, 1.3). « De toi Bethléem sortira un chef, qui sera le berger de mon peuple Israël » (Mi 5, 1). Mais personne ne se déplace, laissant aux étrangers le privilège de découvrir les premiers le roi des Juifs qui vient de naître. Le puissant roi Hérode est troublé par la naissance d’un tout petit. Ceux qui auraient dû reconnaître le Christ se font complices du prochain carnage des saints Innocents. Leurs semblables, grands prêtres et scribes, se chargeront de poursuivre Jésus et de conspirer sa mort. Ces contrastes manifestent l’incapacité d’un grand nombre à voir la lumière véritable.

Pour leur part, les mages reprennent leur course. De nouveau l’étoile les guide et, ajoute saint Matthieu, les « réjouit d’une très grande joie » (Mt 2, 10). Cette joie, effet de la lumière de l’étoile, dévoile le fond de leur cœur : « La joie est causée par l’amour, ou bien parce que celui que nous aimons est présent, ou bien encore parce que lui-même est en possession de son bien propre, et le conserve » (Sum. theol. IIa-IIae, q. 28, a. 1, co). L’allégresse des mages leur donne un surcroît de vie. Tout s’accélère et s’anime : nous passons de la photographie à la cinématographie (il n’y a qu’un pas) : ils entrent, ils voient l’enfant avec Marie sa mère, ils tombent, ils se prosternent, ils ouvrent leurs coffrets, ils offrent leurs présents. Cette joie bien vivante venue d’en-haut les insère désormais dans l’histoire sainte de Dieu avec les hommes. Ils accomplissent en effet, eux, des païens, la prophétie d’Isaïe en offrant l’or au roi des rois et l’encens à celui qui est Dieu fait homme. Ils ajoutent à la prophétie et deviennent prophètes à leur tour : la myrrhe est destinée à embaumer le corps des défunts. « Celui qu’ils adorent, les mages le proclament donc aussi par leurs présents mystiques, comme roi par l’or, comme Dieu par l’encens, comme mortel par la myrrhe » (S. Grégoire le Grand, Homélie X, 6 pour l’Épiphanie, SC 485, p. 253). Leurs présents attestent l’identité réelle de Jésus et le prix qu’il aura à payer pour notre salut. Déjà, la joie se charge d’une gravité inattendue, qui restent en suspens pour le moment : les mages, sans mot dire, partent par un autre chemin. Tout a changé pour eux.

Que Christ Seigneur, qui est la lumière véritable, éclaire les ténèbres de notre vie et nous arrache à nos illusions pour que nous puissions le contempler et l’adorer nous aussi, « en esprit et vérité » (Jn 4, 23). Amen.

Fr. Guillaume Petit, op

Fr. Guillaume Petit