Se renoncer et préférer

par | 8 septembre 2019

Frère Guy Touton

 Cela s’appelle vous l’envoyer dans les gencives ! Il est vrai que l’évangile en général est peu avare de tranchant. Voilà maintenant qu’il faut « porter sa croix » pour être disciple. C’est quoi encore qu’il faut crucifier ? C’est moi peut-être. Charmant, tout à fait charmant. On te dérange peut-être, Jésus, toi qui fais tout pour qu’on ne te suive pas. 

   En voilà une façon de parler aux foules, cet animal grégaire entre les animaux grégaires. « Si quelqu’un vient à moi sans me préférer à son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères… et jusqu’à sa propre vie, il ne peut être mon disciple ». Et encore la traduction liturgique est-elle déjà quelque peu amadouée, car dans l’évangile de Luc il est bien question en grec de « haïr » les siens pour le Christ. Qu’est-ce que cela veut dire ? Jésus prêchait en araméen, or en cette langue il n’y a pas de comparatif. Tu as très bien prêché hier, mais aujourd’hui tu as été moins bon. En araméen on ne peut pas exprimer le « moins bon », on dira « mais aujourd’hui tu as été mauvais », même si cela sous-entend qu’on a été quand même bon, mais moins qu’hier. Un peu offensant, je plaisante.

   Ces précisions grammaticales étant faites, on reste quand même pantois devant l’Everest immense de cet évangile. C’est bon d’être pantois. Les guides de haute montagne qui ne seraient pas pantois avant de partir devant les hauteurs à franchir courraient un grave danger. Car l’évangile de Jésus nous fait courir un sacré danger : il nous met tous à nu devant la face de Dieu. Soudain la disproportion éclate, et lui insiste, insiste. Aucune pudeur, je plaisante.

   A peine ai-je évoqué l’Everest de cet évangile que, par un malin plaisir sans doute, Jésus me contredit : voilà qu’il prend maintenant des allures de géomètre, de constructeur de fondations sans quoi la maison ne tient pas, de chef d’armée même,  en prévision du combat intérieur que son disciple devra mener. Au moins il est honnête.

   Mais Seigneur, Seigneur, pitié, pitié pour tes créatures ! Ce cri nous vient du cœur, Jésus l’aurait-il précédé et entendu ? Mais oui, bien sûr, souvenez-vous d’un autre passage de l’évangile qui nous dit que les derniers seront les premiers, c’est-à-dire en autres explications, que ceux qui se feront les plus modestes devant sa Face, avec parfois même cette sensation mystique d’être un cancre, battant poitrine pour cela, précèderont les autres, plus altiers et sots plus brillants.

   Avertissement dernier, qui cogne où ça fait mal : « Quiconque parmi vous ne renonce pas à tous ses biens ne peut être mon disciple ». Là aussi, c’est Lui ou moi, Lui ou mes biens. Non que les biens soient un mal, sinon on menacerait la vie en société, tout système légitime de reproduction, mais que les biens doivent passer infiniment après Lui, être hiérarchisés, pour que l’âme n’y perde pas la vie.

   J’ai une prière qui me vient: « Jésus, je ne peux pas être ton disciple. Viens, je t’en prie, viens, sauve-moi de moi, je T’aime ». Amen.

Frère Guy Touton

Frère Guy Touton