Trinité politiquement incorrecte ?
Tout va donc fonctionner par trois, évidemment. Et peut-être apprendrez-vous, frères et sœurs, qu’il existe trois Credo. Il y a bien les deux Symboles de la foi que nous connaissons dans notre liturgie, même si quelques dérapages, plus ou moins contrôlés sont souvent à déplorer… oui, oui, même dans notre sainte assemblée. Nous vérifierons cela tout à l’heure.
Il y a le Symbole dit « des Apôtres » et celui dit « de Nicée-Constantinople ». Mais un troisième, rarement cité, est le Credo œcuménique dit « de Saint Athanase. » Il prenait place dans l’office divin antérieur à la dernière réforme liturgique. Il est bien méconnu. Allez savoir pourquoi.
En voici le début : Quiconque veut être sauvé doit, avant tout, tenir la foi catholique. S’il ne la garde pas entière et pure, il périra sans aucun doute pour l’éternité.
Voici quelle est la foi catholique : Vénérer un seul Dieu dans la Trinité et la Trinité dans l’unité, sans confondre les personnes et sans diviser la substance.
La personne du Père est une, celle du Fils est une, celle du Saint-Esprit est une ; mais le Père, le Fils et le Saint-Esprit ne forment qu’un seul Dieu.
Ils ont une gloire égale et une majesté coéternelle.
Le dimanche de la Sainte Trinité serait-il finalement le dimanche du politiquement incorrect ? Vous savez bien que je serais le dernier à m’en plaindre. Reconnaissons tout de même que ce texte ne favorise pas le dialogue interreligieux. Heureusement qu’il y a eu « le » Concile –comme s’il n’y en avait eu qu’un seul– qui est revenu mettre un peu d’ordre dans tout cela et… ouvrir nos horizons. Regardons ensemble les textes que nous offre l’Église en ce jour pour nous en convaincre. Ou pas.
La première lecture nous conduit au désert, avec Moïse qui s’adresse au peuple. Et il le met au pied du mur. Nous avons tous remarqué que les réponses se trouvent déjà dans les questions qu’il pose. C’est habile et direct. Cela ne laisse pas une grande amplitude de réponse puisque les questions sont fermées. Elles s’achèvent sur une série de trois impératifs : Sache, médite et garde les décrets et les commandements du Seigneur. En bref, obéis au Seigneur, il n’y en a pas d’autre. Pour le dialogue, on repassera, mais bon, c’est l’Ancien Testament après tout. Et pour l’ouverture, ce n’est pas non plus cela, parce que le mot obéir a disparu de notre vocabulaire. On marchande, on pseudo-explique, on négocie. Avec nos enfants, passe encore… mais avec Dieu… un peu de tenue !
Heureusement, la deuxième lecture va nous redonner un peu de courage, un peu de baume au cœur. Nous sommes fils, enfants de Dieu, libérés de l’esclavage et de la peur ! Nous devenons même héritiers de Dieu ! Quelle joie devrait être la nôtre à l’écoute de ces brefs versets. Le dernier refroidit sans doute notre enthousiasme. Comme pour les contrats, il y a une petite note de bas de page, si discrète qu’on aurait presque envie de ne pas l’avoir lue. Il y une condition à remplir : la souffrance avec le Christ. Après obéir, souffrir. Nous voilà bien. La gloire ne pose pas de problème mais quid de la souffrance pour y parvenir ? Ne nous en demanderait-on pas un peu trop ? Heureusement, Jésus va nous récupérer tout cela. Vivement l’Évangile !
Peine perdue. En 5 versets, Jésus vient, si j’ose dire, en rajouter une couche ou plutôt une série. Ce ne sont pas trois mais quatre impératifs qu’ils nous offre en ce jour : allez, faites, baptisez et apprenez. En un mot, il nous encourage au prosélytisme. Encore un gros mot ! Avec lui non plus on ne négocie pas. Il nous faut enseigner ce qu’il a commandé. Il nous faut baptiser au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit. Certes, le mot de Trinité n’apparaît pas dans la Bible, mais elle est bien présente, évoquée dans des récits tels que l’Annonciation ou le Baptême du Seigneur, ou plus encore explicitement dans cette formule énoncée par le Christ lui-même. C’est dire son importance fondamentale pour notre foi.
Confesser la Trinité, c’est bien entendu croire en un seul Dieu en trois personnes. Trois personnes, mais qui sont “consubstantielles” –et pas seulement de même nature, comme trois personnes humaines différentes qui existent séparément. Elles sont distinctes sans être autres. Le Père est Dieu, source et principe de toute la Trinité. Le Fils est Dieu comme le Père, mais il l’est comme Fils et Verbe du Père. L’Esprit est Dieu comme le Père et le Fils, mais il l’est comme le lien d’amour qui les unit. Ils sont identiquement et ensemble le seul et unique Dieu de par des relations, des liens d’origine, qui les unissent et les distinguent à la fois.
Confesser la Trinité, c’est apprendre que l’unité des hommes entre eux – dans nos familles, notre société ou l’Église – ne vient pas d’un principe fédérateur qui serait extérieur, telles que la loi qui doit être obéie ou la répression qui en assure le respect, mais de l’Esprit d’amour. Car c’est l’Esprit qui est la communion du Père et du Fils ; et c’est le même Esprit qui en chacun de nous est dans l’amour. Voilà une marque trinitaire en chacune de nos vies ! La contemplation du mystère d’unité des trois Personnes qui sont un seul Dieu, nous renvoie à la vocation d’unité du genre humain à l’image de la Trinité. Ainsi le mystère si déroutant de prime abord de la vie intime de Dieu peut devenir la lampe qui éclaire chacune de nos vies, qui illumine les communautés que nous formons, qui donne son vrai sens à toute vie humaine : aller vers l’unité de l’amour, vivre de la charité, pour la charité, dans la charité de Dieu.
Confesser la Trinité, c’est entrer dans une communion d’amour. C’est tout simple… comme l’amour, parfois, et comme Dieu, toujours !
Ce sont les saints qui nous le font comprendre, par leur vie, par leurs écrits. Vous connaissez sans doute ce texte de sainte Élisabeth… de la Trinité. Elle l’écrit alors qu’elle n’a que 24 ans, deux ans avant sa mort. Voici un extrait, trop bref hélas, de cette prière époustouflante.
« Ô mon Dieu, Trinité que j’adore, aidez-moi à m’oublier entièrement pour m’établir en vous, immobile et paisible comme si déjà mon âme était dans l’éternité. Que rien ne puisse troubler ma paix, ni me faire sortir de vous, ô mon Immuable, mais que chaque minute m’emporte plus loin dans la profondeur de votre Mystère…
Ô mon Christ aimé crucifié par amour, je voudrais être une épouse pour votre Cœur, je voudrais vous couvrir de gloire, je voudrais vous aimer… jusqu’à en mourir!…
Ô Feu consumant, Esprit d’amour, « survenez en moi » afin qu’il se fasse en mon âme comme une incarnation du Verbe: que je Lui sois une humanité de surcroît en laquelle Il renouvelle tout son Mystère.
Et vous, ô Père, penchez-vous vers votre pauvre petite créature, « couvrez-la de votre ombre », ne voyez en elle que le « Bien-Aimé en lequel vous avez mis toutes vos complaisances ».
Ô mes Trois, mon Tout, ma Béatitude, Solitude infinie, Immensité où je me perds, je me livre à vous comme une proie. Ensevelissez-vous en moi pour que je m’ensevelisse en vous, en attendant d’aller contempler en votre lumière l’abîme de vos grandeurs. »
Qu’il en soit ainsi pour chacun de nous, frères et sœurs.
Au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit. Amen.
Fr. Louis-Marie Ariño-Durand, op