Typologie, échos et tiroirs

par | 14 octobre 2024

Jésus et Paul se réfèrent tous les deux à l’histoire sainte du peuple de Dieu pour authentifier leur message. Dans le cas de Jésus, c’est le prophète Jonas à Ninive, ainsi que la reine de Saba et le roi Salomon qui sont convoqués pour suggérer la relation entre le besoin de signes et la conversion. Dans le cas de Paul, c’est une typologie audacieuse à partir d’Agar et Sara, qui ont engendré respectivement Ismaël et Isaac, les deux premiers fils d’Abraham, pour suggérer le rapport entre la Loi comme esclavage d’un côté, et la grâce comme liberté de l’autre.
Il y a là une première leçon à méditer : la Parole de Dieu telle qu’elle est inspirée par l’Esprit-Saint aux auteurs canoniques, consignée dans l’Écriture Sainte, et reçue dans l’Église, gagne à être connue et méditée en son entier, car chaque situation, chaque expression, chaque mot, est chargé de références explicites ou implicites à d’autres situations, expressions, mots. La Bible est une chambre d’échos à l’infini, où toute parole nouvelle résonne de paroles anciennes sans être pour autant une simple répétition.
De surcroît, Jésus et Paul parlent en hommes de l’Antiquité. Là où la modernité progressiste fait le procès de ce qui est ancien au profit de ce qui est nouveau, l’Antiquité raisonne à l’inverse. Ce qui apparaît comme nouveau doit présenter des lettres de noblesse qui démontrent que telle doctrine, apparemment nouvelle, est en réalité ancienne, en fait plus ancienne que ce qui est devenu la norme à un moment donné.
Ainsi Jésus réfère-t-il à Adam et Ève et au projet initial de Dieu pour relativiser la loi de Moïse qui permet de répudier son épouse dans certaines circonstances. Ainsi Paul s’efforce de montrer que la Loi nouvelle en Jésus-Christ reprend l’Alliance faite avec Abraham, plus ancienne que la Loi de Moïse.
Le raisonnement présuppose la supériorité du plus ancien, sans pour autant nier l’utilité de ce qu’il y a eu entre les deux. Le raisonnement du Christ, et pour ce qui est des lectures du jour, surtout celui de saint Paul, présuppose en fait, à un niveau plus profond, l’unité du dessein divin : le projet de Dieu, un et le même de toujours à toujours, se déploie dans des économies successives toutes utiles et bonnes en leur temps mais amenées à leur plein accomplissement dans le Christ.
Il y a une deuxième leçon : inspiré par l’Esprit-Saint, Paul est très audacieux dans sa typologie. Selon lui, Ismaël, fils qu’Abraham a eu de la servante Agar, représente ce qui n’est que naturel, « selon la chair », ce qui est le fruit du désespoir en l’action de Dieu, et qui ne peut aboutir qu’à l’esclavage. À l’inverse, Isaac, fils qu’Abraham a reçu miraculeusement de son épouse légitime mais stérile, la vieille Sara, représente l’irruption de l’action gratuite de Dieu qui vient récompenser la fidélité, la persévérance dans la foi, et se déploie dans une vie de liberté.
Cette typologie est audacieuse parce que Paul fait de la descendance d’Ismaël le peuple de l’esclavage sous la Loi, et de la descendance d’Isaac le peuple de la liberté sous la grâce. Or ce sont bien les descendants d’Isaac et non pas ceux d’Ismaël, qui ont reçu la Loi de Moïse.
Mais Paul entend justement, et c’est un point commun avec Jésus, relativiser la question de la descendance charnelle pour montrer que la véritable filiation est celle de la foi.
De telle sorte qu’il y a au sein du peuple juif, au sens mystique, des descendants d’Isaac comme des descendants d’Ismaël, tout dépend de leur rapport au Christ. Et il en va de même au sein des païens. La généalogie biblique n’est pas génétique mais mystique.
La troisième leçon, peut-être la plus importante : Dieu a une prédilection pour le petit, le cadet. Ismaël était l’aîné d’Isaac. C’est pourtant Isaac qui est l’enfant de la promesse. Une génération plus tard, Esaü est l’aîné de Jacob, mais c’est Jacob qui arrache la promesse.
Dans le plan de Dieu, tout est éternel, mais rien n’est jamais écrit d’avance, en tout cas pour une compréhension humaine. Dieu aime les surprises, et Dieu aime les petits. Ce qui importe est moins ce que j’ai reçu à la naissance, mais ce que Dieu m’appelle à vivre, qui dépasse ce que je peux imaginer. Amen.
Fr. Jean-Thomas de Beauregard op

 

Fr. Jean-Thomas de Beauregard