Une sombre et profonde frayeur

par | 17 mars 2019

Frère Pavel Syssoev

Une sombre et profonde frayeur tomba sur lui… Ces mots désignant le sommeil d’Abram semblent s’appliquer à nous. Oui, une sombre et profonde frayeur – face aux révélations des crimes commis par des clercs, face à la souffrance des innocents, ceux qui sont directement victimes de ces actes, ceux qui en sont touchés comme par ricochet : leurs familles, leurs proches, tout simplement des chrétiens qui souffrent de ce mal dans le Corps de l’Eglise. Une sombre et profonde frayeur nous saisit aussi à la pensée de tous ceux qui partent silencieusement, sans reproches, parce qu’ils n’attendent plus rien de l’Eglise. De nous. Une sombre et profonde frayeur face à des accusations qu’il nous nous faut affronter, car nous sommes accusés d’être complices de ce mal par le simple fait d’être chrétiens. Une sombre et profonde frayeur face à des solutions clamées sur tous les coins – toute faites, immanquablement les mêmes : abandonner le célibat, voire le sacerdoce, comme si le mariage était un remède à des perversions et le laïcat – un remède à des abus du pouvoir. Une sombre et profonde frayeur dans une nuit qui ne fait que commencer. Cette nuit sera longue. Très longue.

Là, apparaissent Moïse et Elie. Dans la gloire, éblouissant de l’unique lumière, celle qui a Jésus pour source. De quoi parlent-ils avec le Christ ? De son exode à Jérusalem. De la Croix donc et de la Résurrection à venir.

La Loi et les Prophètes qui tirent Pierre et ses compagnons de leur sommeil. La Loi et les Prophètes peuvent nous sortir de notre sombre et profonde frayeur, si seulement nous acceptons les entendre. Les écouter et les mettre en pratique.

La Loi d’abord. Méprisée, négligée. « L’Evangile n’est-il pas amour et miséricorde ? La justice n’est-elle pas l’attribut du Dieu d’autrefois ? L’Eglise a-t-elle besoin de juger ? De condamner ? Ne doit-on pas pardonner tout de suite ? Ne faut-il pas tout faire en enfants de Dieu qui n’ont plus besoin de cette loi archaïque ? » – qui n’a pas entendu ce genre de raisonnements ? Une des raisons de la crise actuelle, de notre sombre et profonde frayeur, est le mépris de la Loi. « La Loi c’est pour les pharisiens, elle est le signe de la dureté du cœur, on peut passer outre avec un peu de bons sentiments qu’on prend pour la charité et pour la grâce. » Ce n’est ni la charité, ni la grâce – ce n’est que lâcheté et complicité avec le mal. Refuser de nommer les crimes, refuser de les dénoncer, refuser de le juger, selon le droit, le droit de la société, le droit de l’Eglise, c’est boucher ses oreilles à la voix de Moïse, c’est renier le Christ.

Si nous ne comprenons pas que « faire la justice, c’est rendre culte à Dieu », il n’y aura pas d’issu pour nous.

Les Prophètes. Il nous faut les entendre. Les vrais, ceux de l’Ecriture. Nous sommes prêts à demander leur avis à des experts, à des idéologues, à des consultants et à des gestionnaires, à tout le monde, sauf à des prophètes de la Bible. Qu’ont-ils à nous dire ? Qu’il temps de restaurer l’Alliance. Que le confort d’Egypte où nous étions en esclavage est perdu à jamais. Que la liberté est rude. Que la fidélité va de pair avec l’humilité, que nous ne sommes pas des purs, qu’il nous faut nous convertir, à nous, car c’est par sa maison que le Seigneur commencera le jugement. Le petit reste d’Elie, d’Isaïe, de Jérémie, ce n’est pas une figure de style, mais l’annonce très précise de notre vocation. Le Serviteur Soufrant, ce n’est pas une vague image, mais très exactement ce que le Messie accomplira, ce que nous avons à vivre à sa suite. Que nous donnent-ils ? – Aucune consolation facile, mais une espérance. Aucune solution miracle, mais un chemin de conversion. Aucune échappatoire, mais l’Exode.

C’était Moïse et Elie apparus dans la gloire. Ils parlaient de son exode qui allait s’accomplir à Jérusalem. Pierre et ses compagnons étaient accablés de sommeil ; mais restant éveillés, ils virent la gloire de Jésus et les deux hommes à ses côtés.

Pour qu’une torche enflammée passe par notre nuit et nous tire d’une sombre et profonde frayeur, il faut que la Loi et les Prophètes nous réveillent. Les entendre, entendre la voix du Père : « celui-ci est mon Fils, l’Elu : écoutez-le ! » L’écoutez, enfin, lui, avant tout le reste. L’écouter. L’entendre. Descendre de cette montagne et monter à Jérusalem. Vers sa Passion. Vers sa Croix. Vers sa Vie.

Frère Pavel Syssoev

Frère Pavel Syssoev